A propos de "Delire D'amour " de Ian McEwan .

Le syndrome d'érotomanie est une passion amoureuse morbide délirante dont le tableau typique a
été magistralement décrit par Clérambault dans les années 20.
Il se déroule typiquement en 3 temps :amour ,dépit,rancune.
Le primum movens est le Postulat : c'est l'Objet qui focalise le délire généré par 3 facteurs:l'orgueil
le désir le plus souvent platonique et l'espoir , tous facteurs modulés par le caractère du sujet.
-L'orgueil fait choisir un objet haut placé , symbole d'autorité de prestige (médecin,prêtre,voir
Prince de Galle) : c'est LUI qui a commencé et du jour au lendemain a choisi le sujet qu'il aime
passionnément ,qu'il protège,sollicite en permanence,à qui il envoie des messages codés,par des
gestes ,des regards ,de l'indifférence feinte;son comportement est souvent paradoxal mais le sujet
sait très bien décrypter le vrai sens celui de l'amour.D'ailleurs cette supposée passion bénéficie de
la sympathie de tous et l'Objet ,même marié, est en fait tout à fait libre et le conjoint ne compte
pour rien.
- Suit la période d'amour où le sujet harcèle de plus en plus l'Objet de lettres,coups de
fil,rencontres,toute réponse quelle qu'elle soit faisant litière au délire.La marque passionnelle du
délire explique le comportement hyperactif,tenace,continu du sujet fixé sur un but unique et total
dès le début.
-Suit une phase de dépit,devant l'échec répété des manoeuvre mais encore habitée de l'espoir
entretenu par l'interprétation délirante des attitudes de l'Objet : c'est là le symptôme finalement le
plus pérenne de la maladie qui ressurgit en permanence ; même dans la dernière phase de rancune et
de haine il est prêt à tout moment à réapparaître.
Ce syndrome intéresse le plus souvent un isolé social,une femme jeune (80 à90 %) qui manifeste le
plus souvent une passion hétérosexuelle. Parfois il s'agit d'un homme et rarement d'une passion
homosexuelle , la conjugaison de ces deux facteurs étant une marque de gravité,l'affaire se
concluant volontiers par un suicide ou un crime.
Cet état partage avec la passion amoureuse normale des caractères communs ,banaux , ce qui rend
sa mise en évidence difficile au début pour la victime , tout le temps souvent pour l'entourage ,et
aussi parfois pour le psychiatre :
--quoi de plus connue que la fusion/confusion totale des affects , des pensées,des réactions ,des
goûts ,cet état de plénitude absolue sans mot pour le dire -et à quoi bon!- lors du bien connu et lui
aussi brutal « coup de foudre »:mais il s'agit d'un couple consentant... jusqu'au coup de tonnerre où
se délite plus ou - dans les meilleurs cas moins - le bloc des illusions.
--quoi de plus connue que la passion non partagée ,le grand amour malheureux : mais là pas de
postulat,l'Objet n'est pas amoureux,on ne l'intéresse manifestement pas,la passion triste devient vite
inactive,le conjoint est un vrai obstacle,et tout s'estompe un jour ,l'espoir aussi.
Ce délire passionnel morbide, spécifique se distingue aussi des autres délires interprétatifs (de
jalousie , de revendication de persécution...).
Là le début est dans un passé indéfini ,ancien. Hostile d'entrée ,l'interprétation des évènements est
polymorphe,extensive, recrutant de nombreux objets, irradiante bien au delà d'un but unique et
précis;délire introverti non actif ,rétrospectif ilest accompagné du sentiment de conspiration ou au
contraire de toute puissance; a contrario le délire passionnel mono-maniaque laisse toute latitude à
la vie normale de se dérouler dans ses activités et ses autres relations sociales.
Mais comme la plupart des psychoses délirantes elle n'a pas de fin et perdure tenace (37 ans).
Passion amoureuse délirante et revendicatrice , elle peut être « pure » ou entachée d'autres
symptômes morbides et apparaître alors à titre inaugural ou venant s' ajouter dans l'évolution d'une
psychose hallucinatoire et/ou paranoïaque.
Gaetan Gratian de Clérambault né en 1872 Bourges père fonctionnaire (Descartes) mère famille
noble ( Vigny ) catholique sulpicienne ,soeur ainée de 2 ans ,frère cadet Roger ??
Dépression grave :reste alité pendant 2 ans à la suite de la mort de sa soeur à l'âge de 7 ans; ,
intelligence précoce, éducation religieuse ++, poète.
Etudie arts ,puis Droit ,enfin médecine /psychiatrie:affecté à l' Infirmerie Spéciale Préfecture Police
Paris 1905-1934 :activité de médecin certificateur :réceptionne tous les agités délirants violents
pour appliquer ou non la loi du 30 juin 1838 .Depuis 1871 c'est le Dépôt qui reçoit ces malades
séparément des « droits communs » , dans 18 cellules , soit 2000 passages par an. 13000 certificats
détaillés,précis , témoignant d'un souci de rigueur scientifique au profit d'une science
anthropologique et (Lombroso 1835-1909, pb de la gestion pénale des perversions récidivantes)
criminologique --des « espèces mentales « .
C'est le XIX° positiviste qui veut substituer la maladie à la culpabilité religieuse ou à la faute
philosophique et qui a introduit dans le code les circonstances atténuantes .
Et le Savant doit garder la distance pour reconnaître les phénomènes et les classer (cf
entomologiste)(1à l'inverse de Freud).Savant de la lecture de l'image « en soi » ( qui n'est pas la
métaphore onirique du langage de Freud).
Il décrit des syndromes originaux (« Passion érotique des étoffes chez la femme » ,fétichismes ,
1919 :Automatisme mental,1921: Erotomanie) grâce à une méthode d'investigation plus rusée
qu'inquisitoire, alliant « coup d'oeil photographique » et manipulation verbale .
Séances (cf Charcot)du vendredi devant un public de médecins ,juristes ,et étudiants subjugués par
l'élégance mathématique de ses démonstrations.Lacan dira de lui: »ce fut mon seul maître ».Plus
que d'écouter,il met en scène ,joue de complicité avec le malade,d'ambivalence,s'efforce de
l'émouvoir pour déclencher le débordement des symptômes.
Il traque mais ne traite pas.
Mais pas que cela : engagé en 14-18 à l'âge de 42 ans , conduite héroïque ,blessé 2 fois ( front et
Dardanelles) convalescence au Maroc où se passionne pour le drapé,la photographie (40000 clichés
redécouverts et publiés dans les années 80) :énigme du voile qui révèle et cache,suggère en
dissimulant,vit à la place du corps , garde son secret comme les yeux dissimulés dans la fente noire
et opaque :qui voit qui?qui regarde qui?
Cette passion du drapé le mène à donner pendant 3 ans des cours à l'Ecole des Beaux Arts à Paris.
Il systématise de façon obsessionnelle l'appui ,le tombé,les retours ,la texture des tissus et il n'ignore
rien des différents points d'ourlet,des fibules et des noeuds d'arrêt des tissus .
Apprend l'arabe... et passe 3 ans de siestes torrides avec 2 ou 3 demoiselles à la fois !
Se fait sculpter une stèle funéraire(poème en arabe sur la vanité) enfin mise en place sur sa tombe
en 1991.
Pour le reste célibataire endurci, rapports quasi hostile avec sa mère à qui il envoie chaque année
un cadeau le jour de son propre anniversaire,rapport inexistant avec son frère,des amis qu'il reçoit
chez lui, toujours séparément les uns des autres,
Opéré de la cataracte en 1933 -avec succès- termine de façon très déterminé sa vie (1934) en se
suicidant après l'avoir essayé dans son jardin avec son revolver ,assis devant son miroir au milieu
de ses poupées de cire: scandale parisien. Kessel intervient mais la mémoire publique efface
quelque peu la mémoire du personnage sulfureux.
Personnalité complexe ,protéiforme,multiple,un passionné qui se veut sans passion ,voyeuriste
introspectif.
On a ergoté sur son suicide pour le normaliser
:::ennuis d'argent
:::le contact des malades l'a contaminé - son prédécesseurs disait-on l'avait été qui
avait fini sa vie interné !
:::trouble de la vue intolérable pour ce « voyant/voyeur »( perte du relief,doubles
lunettes??)
::: Peut être et plus sûrement blessure narcissique pour qui a fait son temps :il tombe
du piédestal public d'où il contrôlait l'Autre-les autres ,dont il supportait mal la contestation :
« je suis un paranoïaque » se plaisait-il à dire de lui-même.
(: Lacan bien que lui rendant hommage mais le revendiquant au même niveau que d' autres
psychiatres déclenche de sa part un éclat public de fureur disproportionné).
((((Il a ignoré Freud , rebuté peut être par l'introspection qui fait perdre la distance froide entre le
savant positiviste et son objet ,et/ou « l'attention fluctuante « complètement étrangère à son
systématisme nosologique radical.
Refus de la psychogénèse pour expliquer les symptômes qui ne sont pour lui que l'expression du
noyau dur automatique archaïque niché dans la conscience et commun au psychisme humain: mais
les patients étaient dissemblables: Freud s'occupait de névrosés bourgeois (lapsus,actes
manqués...), quand lui se colletait avec les psychotiques agités du Dépôt !
Lacan qui disait de lui: « il fut mon seul maître « a cru cependant devoir faire sa place à la
conception de Gratian– qu'il a toujours prénommé Georges sans raison connue - quant à
l'automatisme mental en démontrant que les déformations linguistiques des automatismes verbaux
pouvaient déclencher les phénomènes psychotiques « du dehors » et d'où le psychogène était
exclus)))).
:::la nouvelle génération de l'école psychiatrique de Sainte Anne avec Lacan ,Ey inclue
dans sa réflexion les sciences humaines ,la philosophie ce qui le laisse sur le bord du chemin avec
son grand herbier nosologique un peu poussiéreux.
Il mesurait 1,57m.
                 Gilbert Lehmann

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