"Bobby Fischer vit à Pasadena" de Lars NOREN le 16 avril 2006


Présentation de la pièce par Renaud-Marie LEBLANC, metteur en scène

Fin des années 80, dans une famille bourgeoise où les fonctions sociales les plus rassurantes vacillent. Le père, chef d'entreprise soumis à la concurrence internationale, voit pour la première fois son emploi menacé. La mère, ancienne comédienne, domine la sphère familiale. La fille, Ellen, ne se remet pas de la mort de son enfant. Le frère sort juste d'une période d'autisme. Après une sortie au théâtre, parents et enfants poursuivent la soirée autour d'un verre. La conversation essaie d'être bienveillante mais dérape de plus en plus violemment. 

La figure de Bobby Fischer hante la pièce de Norén. Joueur génial, caractériel et « borderline », il n'aura de cesse d'imposer sa volonté au monde à travers sa pratique des échecs. La pièce est construite comme une partie d'échec, avec son ouverture, son milieu et sa fin. Trois actes pour trois moments d'une partie. Elle est brillante au début, comme les ouvertures célèbres de Fischer, rapides et efficaces. Puis le deuxième acte est sur la défensive, plus lent, où chacun prend le temps de s'exposer d'avantage. Enfin la dernière partie se solde par un échec et mat, ni violent ni glorieux mais incertain avec la mort à la clef.[...]

Renaud-Marie Leblanc

Compte-rendu des débats
Encore une séance très intéressante de DireLire, sur l'auteur suédois Lars Noren présenté par Renaud-Marie Leblanc qui met en scène à la Criée la pièce « Bobby Fisher vit à Pasadena » en présence des deux acteurs masculins, Thierry Bosc et Julien Silvéréano.
Peu de personnes avait lu le texte de la pièce, par ailleurs difficile à se procurer en librairie.
Ceux qui l'avaient lu ont trouvé un texte très dur, provoquant un malaise grandissant, mais d'une force et d'une justesse exceptionnelles.
Quatre personnages reviennent du théâtre, le père et la mère, la soixantaine, et le fils et la fille, quarante ans environ.
Le fils souffre d'une schizophrénie légère et vit toujours chez ses parents . La fille, institutrice, vit sa vie de manière indépendante, mais a des problèmes avec l'alcool.
La pièce va donc être un huis clos, qui va durer toute une nuit, pendant laquelle les personnages vont se déchirer.
Incommunicabilité , non-dit, responsabilité de chacun, paroles blessantes mais jamais la parole libératrice n'est possible.
Pourtant il ne s'agit pas de théâtre psychologique, où l'on explique tout. Beaucoup de choses resteront dans l'ombre car Noren ne nous aide pas à résoudre une énigme et laisse les spectateurs remplirent les trous avec leurs expériences personnelles. On ne sait pas ce qui s'est passé il y a 17 ans lors d'un voyage à Paris où le père prenait des photos pendant que la mère, ancienne comédienne, se promenait avec un comédien très beau et homosexuel (Jean Marais ?… tiens, RM Leblanc n'y avait pas pensé)
Le fils Tomas est une enigme, sa sœur ne croit pas à sa schizophrénie. (Noren fut lui-même atteint des ces troubles à l'adolescence et subit même des électrochocs).
L'écriture de la pièce rappelle un peu la structure des grandes tragédies grecques où se succèdent longues tirades et dialogues avec des échanges composés de phrases brèves.
Pourquoi avoir choisi de monter cette pièce ?
RM Leblanc avait monté l'Orestie, drame de famille s'il en est. La lecture de Noren lui a donné l'envie de mettre en sène ce huis-clos dans un bocal où l'on va voir de l'extérieur une histoire de famille, ce que l'on ne peut jamais vois dans notre vie, même si nous avons vécu quelque chose de semblable, car nous étions partie prenante.
Les acteurs nous ont parlé de leur façon de travailler, comment la prise en charge de leur personnage se fait progressivement et n'est d'ailleurs jamais terminée. Un spectacle théatral est la rencontre de quatre composants : l'auteur et son texte , le metteur en scène, les acteurs qui vont incarner les personnages, enfin la scène où tout cela va se confronter face à un public qui participe au résultat.
Pourquoi ce titre, « Bobby Fischer vit à Pasadena » ?
Il s'agit du joueur d'échecs américain, qui était dans les années 80 allé jouer en URSS contre Kasparov malgré l'avis des autorités américaines et qui se trouvait encore en Californie, à Pasadena, d'où il partirait un jour pour s'installer à l'étranger.
Ce titre suggère que le jeu d'échecs inspire la pièce de Noren, mais RM Leblanc n'a pas voulu insister sur cette relation pour ne pas utiliser dans la mise en scène un symbolisme trop voyant qui aurait dénaturé la richesse de l'œuvre.
Antoine VIQUESNEL