Petit Pays de Gaël Faye

Présenté par Christiane Vincent



« Petit » Parce qu’il veut le traiter avec affection mais aussi parce qu’il est un tout « petit bout d’Afrique perché en altitude » comme il le dit dans sa chanson éponyme.

Le héros du livre, Gabriel retrace son enfance au Burundi plus précisément les années qui précèdent l’adolescence : de 10 ans à 13 ans ; pour lui cette période s’étale entre 1993 et 1995 au moment où éclate une nouvelle crise qui met le pays à feu et à sang tandis que se déclenche le génocide du Rwanda tout proche : le pays de sa mère. Dans ce lieu paradisiaque à l’âge justement du « vert paradis », Gabriel va être confronté au malheur : le déchirement familial, ses parents se séparent ; l’affrontement Hutus et Tutsi au Burundi et au Rwanda qui trans forme ces pays en enfer.

Gaby « ne sait vraiment pas comment cette histoire a commencé » comme il le dit dans la première ligne du prologue mais moi je peux dire qu’elle est ancienne (des proverbes en témoignent) qu’elle a été aggravée par la colonisation et n’a pas disparu avec l’indépendance atteignant son paroxysme entre 1993 et 1994.

Dans : « Burundi 1972 au bord du Génocide » de JP Chrétien et JF Dupaquier on trouve pourtant :

« Les Hutus et les Tutsi, acteurs trop connus des tragédies du Burundi, ne se distinguent en effet les uns des autres ni par la langue, ni par la culture, ni par la religion, ni par la localisation, ni de façon mécanique et simpliste par les traits physiques »

  En écho : la conclusion des enfants « c’est là qu’on s’est mis à douter de cette histoire d’ethnies »

Le récit divisé en 31 chapitres est encadré par quelques pages écrites en italique, celles du journal intime, d’un garçon de 33 ans (dont l’identité pèse son pesant de cadavres) hanté par son enfance et son désir jusque-là différé de retourner au pays : un coup de fil dont nous ne connaîtrons le teneur que dans les dernières pages du journal semble être décisif.



Dès le chapitre 1 nous retrouvons l’enfant du prologue, mais c’est le Gabriel de 33 ans qui raconte et il me semble que les évènements sont vus à hauteur d’enfants mais aussi avec les réflexions de l’adulte par exemple au sujet de la séparation de ses parents : » un rêve ils en avaient eu un chacun, à soi, égoïste, et ils n’étaient pas prêts à combler les attentes de l’autre » et p 59 : « justice populaire c’est le nom que l’on donne au lynchage »





Ce qu’il voudrait Gabriel c’est que l’existence reste comme avant mais la violence et la haine le rattrapent :

-          dans sa famille

-          dans sa bande de copains

-          dans sa maison

-          dans son pays



Pourtant il essaie de le préserver ce « bonheur d’avant » et il s’y accroche encore alors que les balles traçantes sillonnent son ciel :

 au chapitre 28 « Maman serait de retour dans sa belle robe fleurie, sa tête posée sur l’épaule de Papa, Ana dessinerait à nouveau des maisons en brique rouge avec des cheminées qui fument, des arbres dans les jardins et de grands soleils brillants, et les copains viendraient me chercher pour descendre la rivière Muha comme autrefois sur un radeau en tronc de bananier, naviguer jusqu’au eaux turquoise du lac et finir la journée sur la plage, à rire et jouer comme des enfants »

Dans ce tableau, il ne manque que la cueillette des mangues pour rendre compte des jeux préférés de Gaby.

C’est au tout début du récit qu’éclate la violence dans le couple de ses parents (ch 2 et 3). Ailleurs : chez mamie, dans sa maison, dans sa bande elle germe, se prépare jusqu’à la moitié du livre (ch 16) et même pour l’impasse (quartier résidentiel) jusqu’au chapitre 22 où elle s’épanouit pleinement. (7avril 1994)

Les parents : Après leur « prise de bec » chez leur ami Jacques « un vrai colon » comme le dit Yvonne. Michel organise une excursion au bord du lac Resha, leur dernier dimanche tous en famille. Dans le trajet du retour (ch3 p35) : Maman a inséré une cassette de Khadja Nin dans le lecteur et avec Ana on s’était mis à chanter » Sambolera ». Maman nous a accompagnés. Elle avait une un joli timbre de voix qui caressait l’âme, mettait des frissons autant que la « clim »

Et au verso de la page « les sanglots avaient transformé la voix de maman en un torrent de boue et de gravier. Une hémorragie de mots, un vrombissement d’injures… et la violence qui roule, roule tout autour »

J’ai voulu vous lire ce passage parce que j’ai remarqué que dans un même chapitre coexistent souvent la joie et la peine, la tendresse et la haine.

Après les vacances de Noël lorsqu’il rentre en classe (en janvier 93) le maître distribue les lettres envoyées par les élèves d’une classe de CM2 d’Orléans. Gaby est très troublé par la lettre (parfumée) et la photo de sa correspondante Laure. Dans sa réponse (entre autres) il dit qu’il n’a pas école l’après midi (les copains) et que cette année (93) on va élire pour la première fois un président.

Les copains unis comme les cinq doigts de la main, ils sont tous « lait au café » enfin, pas tout à fait Armand est burundais par sa mère et son père. Il y a aussi les jumeaux (les artistes du bobard) et Gino plus âgé, de mère rwandaise comme Gaby mais contrairement à lui très politisé, supporter du Front Patriotique Rwandais : l’armée dans laquelle l’oncle de Gaby, Pacifique, s’est engagé.

Leur terrain de jeu ; l’impasse et les berges de la Muha,

Leur refuge : un combi Volkswagen où ils décidaient leur projet, leurs escapades. «. On rêvait beaucoup, on s’imaginait, le cœur impatient, les joies et les aventures que nous réservait la vie »

Il y a un autre enfant à proximité 13-14 ans FRANCIS, un « dur » Gaby en a un peu peur, il fait de l’ombre à Gino qui voudrait lui interdire l’impasse.

La maison ( ch12 p 92) le cuisinier Prothé (Hutu) et le chauffeur Innocent ( Tutsi) s’affrontent.

La campagne électorale bat son plein : deux partis principaux sont en lice,  

-          L’ancien parti unique l’UPRONA, parti de l’unité et du progrès national ;

Signe de ralliement :  trois doigts levés

Dominante Tutsi

-          Le FRODEBU, Front pour la démocratie au Burundi

Signe de ralliement : un poing levé

Dominante Hutu

Le veille de l’élection, dans la cour arrière de la maison Gaby s’occupe du chien, Donatien le contremaître cire ses chaussures, Prothé fait la lessive en chantant  « Frodebu ça va », Innocent prend sa douche en chantant « Frodebu dans la boue, l’Uprona vaincra »



§…. Le FROBEDU sort vainqueur de l’élection qui a lieu le 1 er juin 1993 (dans le quartier, aucun klaxon, aucun pétard), le nouveau président est un civil : Melchior NDADAYE.

Gaby pense aux réactions de Prothé et d’Innocent « on verra bien » dit le père.



Pendant cette période où le pays retient un peu son souffle se déroule cette Fête d’éternité autour du crocodile éventré au fond du jardin dont parle Gabriel, au début du livre, alors qu’il vit à St Quentin en Yvelines. C’est le début des vacances de juillet 1993 « La soirée était spéciale, on fêtait mes onze ans »

« Les choses s’arrangeaient autour de moi, la vie retrouvait peu à peu sa place, et ce soir-là je savourais le bonheur d’être entouré de ceux que j’aimais et qui m’aimaient. »

Comme Gaby tout le monde déborde de joie : Jacques racontait sa chasse au crocodile sous l’œil admiratif de Mme Economopoulos ; « maman resplendissait dans sa robe fleurie en mousseline ». On mange, on danse.

Prothé et Innocent jouent du tambour à l’unisson, là ils sont burundais. (Le tambour est un instrument emblématique du Burundi, sur le drapeau le tambour et l’épi de sorgho liés à la royauté ont été remplacés par 3 étoiles.)

Un incident éclate, une bagarre ente Gino et Francis, disparition du Zippo de Jacques, puis la fête reprend de plus belle. « La musique accouplait nos cœurs, comblait le vide entre nous »

Pour Gaby l’union, la conciliation prévalent toujours contrairement à Gino.

Le 20 octobre 1993 au soir un bataillon blindé s’attaque au palais présidentiel, le président Melchior Ndadaye est tué ainsi que certains de ses collaborateurs.

« Des massacres ont commencé partout » : tuerie des gens de l’UPRONA, représailles de l’armée sur les Hutus

Gaby est perdu, Gino tout excité.

A l’école le comportement des enfants a changé, les Hutus contre les Tutsi « infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d’un camp ou de l’autre « 

Ch 18 « J’étais né avec cette histoire »



Le Rwanda où ils se rendent pour le mariage de Pacifique est aussi en guerre : Le FPR gagnant du terrain renforce les représailles anti-Tutsi de la part du gouvernement et de son armée. Gaby fait la connaissance de Christian qui a le même âge que lui (son cousin).



Le 1er janvier 1994 un nouveau président est choisi par les membres du gouvernement qui a trouvé refuge à l’ambassade de France avec l’accord de l’ONU Cyprien Ntaryamira

Francis a intégré la bande : il est le plus pauvre et il a de l’argent(?), celui dont l se sert pour payer les taxis pour aller à la piscine du collège du St Esprit, pour dire au revoir aux jumeaux à l’aéroport.



Le 6 avril 1994 l’avion qui ramenait de Dar es Salam le président du Rwanda (Habyarimana) et celui du Burundi (Cyprien Ntaryamira) est abattu à l’aéroport de Kigali. Au Rwanda une faction extrémiste Hutu s’empare du pouvoir. Le génocide commence dès le 7.



Ch22 Yvonne vient chercher une aide auprès de Michel pour sauver sa famille « d’avril à juillet 1994 nous avons vécu le génocide qui se perpétrait au Rwanda à distance »

4 juillet 1994 : Prise du centre de Kigali par le front patriotique rwandais, Yvonne mamie et Rosalie partent pour le Rwanda.

-Chez les copains Francis et Gino veulent se joindre aux bandes des « sans défaite » ou les imiter c’est à dire « épurer » de Hutus la zone qu’ils contrôlent. Gaby n’accepte pas « il ne veut rien avoir à faire avec ces assassins » …  « si on se vengeait chaque fois la guerre serait sans fin »

C’est alors qu’intervient Madame Economopoulos et la découverte de la lecture « grâce à elle je respirais à nouveau, le monde s’étendait plus loin, au-delà des clôtures qui nous recroquevillaient sur nous-mêmes et sur nos peurs »

Mais le réel n’est plus vivable : les copains achètent en effet des grenades au centre-ville, des hommes en assassinent d’autres en toute impunité, sa maman retrouvée par Jacques a vécu le cauchemar du génocide, elle a dû s’occuper des cadavres de ses nièces et de son neveu.

« Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s’y sont pas noyés sont mazoutés à vie »

Une bande de cinq garçons armés vient les menacer jusque dans leur maison (Gaby était en train de lire « l’enfant et la rivière »)

Malgré sa volonté de se protéger du monde Gaby va dénoncer sa maman pour sauver sa sœur : Yvonne faisait participer Anna chaque nuit au cauchemar qu’elle avait vécu.

Suite à l’assassinat du père d’Armand Gaby va tuer pour protéger son père et sa sœur.

Le chef du gang qui l’oblige à le faire est Innocent ; l’instrument : le Zippo de Jacques ;

P 209 « Mon père disait que le jour où les hommes arrêteront de faire la guerre il neigera sous les tropiques » écrit Gaby à Christian p196

« Des jours et des nuits qu’il neige sur Bujumbura » scande-t-il dans la lettre qu’il écrit à Laure p211

Dernières pages : Gaby retrouve Armand qui vit toujours au fond de l’impasse ; tous deux vont au cabaret où l’avait entraîné Gino juste avant les élections : « dans la même obscurité qu’autrefois, les clients vident leur cœur et leurs bouteilles » 

 « Je retrouve un peu de ce Burundi éternel que je croyais disparu »,Il y retrouve surtout sa mère portant les stigmates de la tragédie.

Et en écho aux premiers feuillets « ma vie ressemble à une longue divagation, rien ne me passionne. »

 Les toutes dernières lignes « Le jour se lève et j’ai envie de l’écrire »