"Humanisme de l'autre homme" d'Emmanuel LEVINAS le 29 septembre 2002


Le débat sur "Humanisme de l'autre homme" eut lieu le dimanche 29 septembre. Plusieurs se récrièrent: "Abscons", "Hermétique", "Trop difficile". Aussi il fut décidé de travailler plutôt sur "Ethique et Infini" du même auteur, en principe plus accessible. En fait nous n'avons pas beaucoup parlé ni de l'un ni de l'autre mais surtout de philosophie en général. Le tour d'horizon fut large, nous sommes remontés à Aristote et Platon en passant par Descartes, Spinoza, Berkeley; nous avons saupoudré notre longue introduction de quelques réflexions, quelques citations de Husserl, de Heidegger, son assistant, de Merleau-Ponty, son élève, ce dernier lui-même maître de Lévinas; nous avons évoqué Marc-Alain Guakin, qui doit bien être un disciple de Lévinas. Certains titres de ce philosophe contemporain, comme "Erotisme de la phénoménologie" ou "Eloge de la caresse", auraient de quoi donner envie à ceux que rebutent lesphilosophes, d'aller voir de plus près si, derrière leur sérieux, ne se cachent pas de petits coquins qu'il faut se donner la peine d'aller débusquer.

Nous avons beaucoup parlé de phénoménologie, mais aussi du contexte historique pour Emmanuel Lévinas; de ces bouleversements douloureux qui feront croître en lui la certitude de l'urgence morale. La certitude comme il l'écrit que : "Là où j'aurais pu rester spectateur, je suis responsable, c'est-à-dire parlant. Rien n'est plus théâtre, le drame n'est plus jeu. Tout est grave".

Après Heidegger, qui voit dans le souci, "Sorge", l'essence du "Dasein", existence, (ou plutôt du "Dasein" être-là) et pour qui notre "être-au-monde est fondamentalement souci", "projet perpétuel de nous-mêmes vers les autres étants"; après Merleau-Ponty pour qui "autrui est l'horizon constitutif de notre monde"; Emmanuel Lévinas se propose de réactiver les valeurs souveraines de l'Humanisme, c'est-à-dire la "reconnaissance d'une essence invariable appelée Homme"; pour se défendre "contre le désir de l'identification de soi à soi", pour en finir avec la "tentation de réduire l'altérité au même", pour parvenir enfin à l'inconditionnelle hospitalité", celle qui consiste à "accueillir l'autre dans son incompréhensible altérité" et non malgré cela.

Quelqu'un a critiqué certains penseurs d'avoir, dans leurs écrits, abusé des majuscules; tout particulièrement avec le mot "Autre" qui, écrit ainsi, aurait un sens trop figé, car son caractère "d'étrangeté" en deviendrait plus absolu.

N'est-ce pas plutôt son importance primordiale, essentielle, que mettrait en valeur la majuscule? Ne devons-nous pas, en ces temps où les nouvelles techniques informatiques instaurent trop souvent les minuscules dans tous les cas, ne devons-nous pas nous méfier davantage de cette généralisation qui entraîne nos jeunes à ne plus employer, même quand ils écrivent leur propre nom, les majuscules indispensables, ce me semble, à la cohérence du monde et à la constitution de leur identité d'Homme. A débatttre.

Le mot de la fin a insisté sur la nuance installée par Lévinas entre le "Dit" et le "Dire". Le Dire comportant "un Dit comme une nécessité" et étant "une manière de saluer Autrui" : la "signification propre du Dire, quel que soit le Dit" se trouvant là, dans le fait que , "devant le visage, je lui réponds". Il faut parler de quelque chose (même de la pluie et du beau temps) mais parler, parler à lui et répondre de lui.

Bref de quoi, dans ce petit cénacle de DireLire, avoir enfoncé des portes très peu ouvertes, qui méneraient à des voies qu'on pourra réemprunter, pour mieux comprendre, pour mieux être; de quoi en ces deux heures de réflexion(s), avoir pris plaisir à partager le désir "humaniste" d'être meilleur, d'essayer d'être "un autre homme" qui se respecte en respectant Autrui.

"Si je ne réponds pas de moi, qui répondra de moi? Mais si je ne réponds que de moi, suis-je encore moi?" Talmud de Babylone (cité par Emmanuel Lévinas)

Andrée HAGEGE

"Reflets dans un oeil d'or" de Carson Mc Cullers le 15 septembre 2002


Pour certains, d'un certain âge, le titre évoque plutôt Marlon Brando et Elizabeth Taylor dans le film de John Huston sorti en décembre 1967 deux mois après la mort de Carson McCullers, née Lula Carson Smith en 1917 à Colombus (Géorgie).
Qui n'a pas été séduit par ce drame? Quel drame? Un livre de plage sans plus. C'est l'avis de quelques-uns.
De drame, pourtant, il y en a un. Même deux. Et plus..
Dès la première page une mort en forme de meurtre est annoncée, mais comme on dirait: "coucou, c'est moi". Et dans ce drame-là, sept auteurs: deux officiers, un soldat, deux femmes, un Philippin et un cheval, écrit le traducteur Pierre Nordon dans l'édition Stock.
Certains ont en revanche été séduits par ces reflets-là, beau titre trouvé dans un poème de T.S.Eliot par l'éditeur de la jeune femme de 24 ans qui, après le triomphe de son premier roman "Le coeur est un chasseur solitaire" venait en présenter un deuxième, sous l'appellation peu séduisante d'"Army Post". Séduits au point de relire et relire encore, médusés devant cette épure de "kaléidoscope" comme le soldat devant la Dame endormie.
A la fin de la deuxième partie, ou plutôt du deuxième mouvement, l'évocation du soldat nu montant le cheval à cru dans une clairière au fond des bois est hallucinante. C'est le héros Mazeppa cher à Bartabas.
Comment, comment? Les partisans du roman de plage n'en croient pas leurs oreilles. Ils n'ont pas lu le même livre. Leur traduction se garde bien de montrer la prodigieuse vision reflétée dans l'oeil d'or de l'artiste Carson McCullers. Pour quelles raisons? Seuls les traducteurs pourraient répondre.
La dernière biographe en date, Josyane Savigneau, nous apprend que le premier traducteur possédait un exemplaire dont la dédicace était un enfantin petit sapin et un oeil en amande. 
Annie ROUZOUL