"Dalva" de Jim Harrison le 17 juin 2007



Le billet à Claudine de Michel BOUDIN
A quoi servirait, jolie cousine, de suivre avec assiduité les séances de DIRELIRE si ce n'était por se frotter à la diversité des avis et pour apprécier l'aspect participatif qui importe plus, souvent, qu'une réelle investigation théorique. Donner la parole à la différence, voila un assez joli programme.
C'est à quoi s'est prêtée, avec un talent de haute tenue, Monique BECOUR, la présentatrice du livre de Jim HARRISON, "Dalva". La vie exceptionnelle de cet auteur aux allures de bûcheron fatigué, nous fut exposée avec un sens aigu de l'enchaînement des causes et des effets et avec une intelligence rare du détail significatif. Des lectures croisées vinrent, comme d'habitude, donner consistance à cet exposé de grande classe.
Mais que restait-il, Claudine, pour les habituels grincheux sans lesquels DIRELIRE ne serait pas tout à fait DIRELIRE? Peu de chose en vérité et c'est pourquoi on ne les entendit guère!
On pouvait pourtant faire remarquer qu'un roman de cette importance doit sans doute plus aux lectures d'Harrison qu'aux détails de son existence. Qu'a-t-il emprunté aux auteurs qu'il aime (Faulkner, Joyce, Proust)? Comment est construit son roman à partir des leurs? Que garde-t-il d'eux, que rejette-t-il, que transforme-t-il?
"Tout art naît d'un art antérieur", disait Malraux. Celui de romancier comme les autres. Et Malraux ajoute, dans "Les Voix du Silence": Il est révélateur que pas une mémoire de grand artiste ne retienne une vocation née d'autre chose que d'une émotion ressentie devant une oeuvre: représentation théâtrale, lecture d'un poème ou d'un roman pour les écrivains, audition pour les musiciens, contemplation d'un tableau pour les peintres."
Les grincheux, Claudine, ont choisi de se taire. Mais étaient-ils si sûrs d'eux? C'est ce que se demande encore ton cousin
FLORENTIN
Présentation de "Dalva" par Monique BECOUR
«Dalva» et «La route du retour» de Jim Harrison
Dalva est le grand roman américain de Jim Harrison, le plus intéressant paru après «Légendes d'Automne» et «Woolf». Dans le roman Dalva, J. Harrison décrit une Amérique mythique depuis le génocide de la nation indienne ( les autochtones) jusqu'aux séquelles subies par les soldats revenus de la guerre du Viet Nam en centrant son livre sur Dalva, (45 ans en 1986, au début du livre) qui vit à Santa Monica (Californie).
Les grandes plaines du Midwest constituent le cadre du livre (Nebraska, Nord et Sud Dakota et aussi le Michigan dont J. Harrison est originaire). Les Européens, apportèrent le germe de la révolution culturelle, au XVIème siècle, le CHEVAL. Les groupes de chasseurs indiens suivaient les troupeaux de bisons : un troupeau vers le Nord, un autre vers le Sud jusque dans les régions les moins accessibles, puis la ruée vers l'or vers 1849 attira des dizaines de milliers d'euro-américains qui déferlèrent le long de la vallée de la rivière Platte, vers la Californie. Harrison dit dans son autobiographie «En marge» que son livre n'est «pas un roman linéaire, mais un phénomène naturel, mais une énormité élémentaire, allure de matériau brut qui caractérise le nouveau continent.»
L'histoire se passe dans le Nebraska, comté de Bassett, où nous découvrons quatre générations à travers le journal personnel de chaque membre de la famille Northbridge.
C'est comme un gâteau mille feuilles dont les informations séparées se superposent : les mêmes faits, gestes ou actions interprétés différemment, de façon complémentaire. Le journal du premier John Wesley Northbridge (arrière grand père de Dalva) le montre , dès 1863, prêcheur, voyageant seul à cheval, plantant des arbres fruitiers, et décrivant les paysages traversés. Tout est explicité: les traités de Fort Laramie, Fort Atkinson, qui étaient censés définir les frontières pour les tribus et permettre la traversée sans entraves des territoires occupés par les indiens.
Le grand souci du gouvernement yankee était le passage du chemin de fer, le long de la Yellowstone : «le Southern Pacific» et au Nord, «la Nothern Pacific Railroad». Mais les terres sacrées lakotas des Blackhills, des Badlands, envahies, l'extinction progressive du bison porta le coup fatal aux tribus des Plaines qui se rebellèrent et engendrèrent les massacres perpétrés par les «longs couteaux» en représailles, de 1860 à 1890.
Le Général Sherman, l'homme du traité de paix en 1868 disait «j'utiliserai tous les pouvoirs conférés pour que les indiens ennemis de notre race et civilisation ne puissent recommencer leur guerre barbare». Les Yankees faisaient partie de cette «guelt society» fondée sur le mépris total des non-élus par Dieu (puritanisme) alors que les indiens ressortissaient de «la shame society» fondée sur la notion de honte, manquement à l'honneur, perte de la face par rapport à son visage originel.
Il nous a été reproché plusieurs fois par des participants de ne pas mettre en valeur la composition, le style, aussi m'y suis-je efforcée. Avec l'arrivée du cinéma, du jazz, de la psychanalyse est condamné le roman linéaire, le récit. Jim Harrison obtient dans Dalva une polyphonie, une simultanéité par le biais des points de vue de chaque narrateur: nouveau mode de narration, extérieur, objectif, direct, comme «l'œil de la caméra». Harrison, dès 1982 travaille comme scénariste à Hollywood, et il emprunte aux techniques du cinéma, les procédés de superposition, de feed back, de fondus enchaînés (pour exemple lorsque Dalva galope et se fond dans la Prairie, ou au bord de la rivière Niobrara qui se trouve sur la propriété Northridge). Le premier principe est l'ellipse: on ne commente pas, on ne sonde plus les consciences: on donne à voir, car nos sensibilités modernes se sont formées au mêmes sources donc bouleversement technique objectif, habilité de l'invention et du maniement des symboles.
Harrison, devenu universitaire et professeur en littérature comparée donnait des cours de "creative writing" et déplore ( in En Marge) que les auteurs modernes ne sachent plus employer la métaphore. «Les français aiment mes livres parce que je mêle l'Histoire à l'Action».dit-il encore.
La distorsion du Temps est donnée par la symbolisation de la rivière qui coule, par l'enchevêtrement des époques, par les différents journaux relatant les mêmes faits avec des points de vue différents : la première lecture est difficile car il faut dater et prendre des points de repère. Le réalisme n'est pas dans la chose mais dans la manière, le réalisme est ici affaire de technique plutôt que de sujet. L'art du point de vue est plus important au réalisme que la chose vue. En un mot, le réalisme ne consiste pas ici à décrire des choses américaines, mais à trouver les points de vue américains, donc recherche de l'objectivité du roman, avec la psychologie liée aux manières d'être des divers personnages qui pour certains développent un comique certain ainsi qu'un réalisme humain (exemples, le professeur Michaël, Lundquist, sa fille Frieda)
Mais que l'on ne me dise plus que c'est de «la littérature mineure» lorsque l'on n'a pas lu l'œuvre. J. Harrison s'interroge sur la durée de son œuvre. Restera-t-il ? Découvrez «Dalva», l'histoire de cette jeune femme moderne et merveilleuse, loin des clichés .Retrouvez là, à 11 ans au travers du journal de son grand père (JW2 Northridge) qui lui sert de père, dans «la route du retour». Bien sûr, le volume est épais, et alors, entrez et découvrez ce monde, vous qui avez aimé «danse avec les loups». Vous ne regarderez plus jamais un western avec les mêmes yeux. Peut-être, me donnerez vous votre avis sur notre site DIRELIRE après votre lecture.
Et si vous ne me croyez pas, lisez les avis d'internautes sur le site de J. Harrison.
Monique BECOUR

"Lira bien qui lira le dernier" d'Hunert NYSSEN le 4 juin 2007



Ce dernier lundi soir 4 Juin 2007, nous nous retrouvions, «fanas » de lecture, pour « Lira bien qui lira le dernier» de Hubert Nyssen (Babel). J'avoue que je n'avais pas lu cet ouvrage, auteur qui m'était inconnu, mais j'étais venue pour l'étincelle qui déchaînerait le désir de le découvrir.
Nous étions peu nombreux, environ 40 % d'hommes pour 60 % de femmes présents ; de plus, manquait un des deux présentateurs ayant choisi le livre en Juin 2006.
Heureusement, le deuxième, fidèle, présent, avait été «emballé" par ce livre , érudit, mais non pédant ». nous dit-il. « Il s'agissait « d'une chronique sur la littérature et la lecture» et.Nyssen, cependant « n'avait pas cherché à faire un livre de théories ».
Notre présentateur, très érudit, lui-même, nous présenta le livre « comme une forme de pastiche, avec un côté XVIIIème siècle, forme de copiage, comme une tentative de séduction de la Femme, en s'adressant à une certaine Melle Esperl ... dialogue fictif.
Aussitôt, me vint à l'esprit, ainsi que je l'exprimais, la Marquise de Sévigné (Marie de Rabutin-Chantal) correspondant avec sa fille Madame de Grignan, autour de 1671 à 1696, mêlant mondanités, confidences, plaisanteries et jugements sur ses semblables en un style brillant et un certain langage parlé suggestif qui faisait le tour des Salons à Versailles.
Et, en même temps, plusieurs d'entre nous s'exclamèrent comme notre ami Florentin , alias Michel Boudin, adressant ses billets mensuels à sa jolie cousine Claudine, billets, dont la lecture nous réjouit tous. Donc, vous l'avez compris, la forme du livre reprend un procédé littéraire peu usité à notre époque, mais tellement séduisant.
Questionné par ceux qui n'avaient pas lu le livre, notre présentateur reconnut qu'il y avait un côté négatif au livre choisi. Eh oui, selon lui, l'auteur dit « que le monde bouge et que c'était mieux avan t». Poncif maintes fois entendu: il faut se rebeller contre cet état d'esprit. Il apparut dans nos échanges que les hommes présents (grands lecteurs), avaient analysé les hommes lecteurs de leur propre entourage et que ces derniers comme eux « sont des hommes qui s'occupent des corps » ou encore « qui ont un rapport au corps » (kinés, infirmiers, professeurs d'éducation physique, médecins spécialistes). Pourquoi ? La réponse nous vint de l'un d'entre eux : « l'homme veut être dans un corps modélisant ».
Les échanges dérivèrent sur les jeunes et la lecture. Je citais Jim Harrison dans « En Marge » que je n'avais pas encore présenté: « Comment voulez-vous que les jeunes lisent si les parents ne lisent pas? » Lui, dont le premier ouvrage était un recueil de poésie « Plein chant » était féru de Yeats, de Faulkner, de Virginia Woolf, de James Joyce, mais aussi de René Char. Je citais les livres que lisent mes jeunes adolescents, dès l'âge de 10 ans: la série de Harry Potter de J.K. Rowling, "Eragon" de Christopher Paolini, « Le monde de Narnia » de C.S. Lewis. Je précisais, que je pensais fortement, que ces écrivains britanniques, étaient fortement inspirés d'un écrivain anglais John Bunyan (1660-1688), qui eut une importance très notable sous la Restauration anglaise. Le personnage principal «The Chretien» dans « Pilgrim's Progres » voyage énormément, reçoit des apparitions, rencontre des dragons, tout un côté conte de fées ( repris par les auteurs souvent britanniques nommés ci-dessus) avec un suspense, et un rythme vif dans un style très clair, « le mot juste pour l'idée juste ». Il eut une influence énorme sur la suite de la littérature anglaise.
Ce ne fut pas l'avis de tous, car il me fut répondu, que c'était uniquement « une affaire de marketing ». Attention, il ne faut pas confondre, la création littéraire, l'inspiration, l'écriture sur la page blanche, avec le côté marketing du lancement commercial « Pull and Push ». Une enquête du Centre National du Livre parue dans « Le Monde des Livres du 6 Juin 2007 nous dit « que chez les jeunes, de 11 à 18 ans, la lecture plie mais ne rompt pas ». Le secteur des éditions Jeunes est florissant 16 % du C.A des ventes totales, soit 71 millions de volumes en 2006,«créativité et dynamisme constant ». Une réserve, cependant, le public était « captif » car questionné au Salon du Livre au milieu de sa classe. Le choix est fonction du réseau des copains.
La réflexion nous amena, incidemment, à la bande dessinée et, nos amis présents, reconnurent avec jubilation , qu'ils en lisaient eux aussi . Les auteurs, les titres fusèrent : Enki Bilal et sa trilogie , Sfar, et « le chat du rabbin », Corto Maltese à travers Hugo Pratt, René Pétillon et sa « Panique à Londres », Marjane Satrapi et « Persépolis », la souris « Maus» de Art Spiegelman, jeune juif allemand qui écrit sur la Shoah. Il y a quelques années, Christian, un tintinophile éclairé de DIRELIRE avait philosophé sur Hergé et Tintin.
Comme nous citions la lecture sur Internet et les cassettes enregistrées, ma plus grande joie fut d'entendre une assistante, assidue depuis plus de douze ans à DIRELIRE, comme certains d'entre nous, s'exprimer, enfin, après tant d'années de silence. Cette personne ne voyant plus très bien, sa petite fille lui lit à haute voix quelques uns des ouvrages choisis, mais très souvent, aussi, elle fait appel à une association, à la Maison de la Croix Rouge, rue Sylvabelle, qui lui fait enregistrer nos livres par des lecteurs bénévoles.
Je n'ai pas lu le livre de Nyssen, mais cette découverte et l'échange fut très riche, et c'est dit, une vocation est peut-être née ... Venez nombreux, en 2007-2008, chaque rencontre vous apportera un désir de découvrir, un éclairage et vous vous exprimerez dans le respect: tout est dicible dans notre groupe.
Monique BECOUR