De Agustin GOMEZ-ARCOS
Anne Marie D’Ornano
Agustin GOMEZ ARCOS naît à Alméria (Esp.) en 1939, meurt à Paris en 1898. Après des études de droit, il quitte l’Université pour sa passion le théâtre. Il est d’abord comédien, metteur en scène, traduit des pièces, en écrit lui-même : pièces qui sont plusieurs fois censurées et interdites. En 1966, (27 ans) face à cette censure, il émigre d’abord en Angleterre puis en France où il apprend notre langue tout en faisant mille petits métiers..Il est l’auteur de huit romans écrits en français parmi lesquels le sublime « Agneau carnivore » ( prix Hermès 1975)..
Il obtint presque le Prix Goncourt en 1977 pour « Ana non », son troisième roman mais reçoit : Le Prix du Livre Inter (1977), le prix Thyde Monnier (Sté des Gens de Lettres) et le Prix Roland Dorgelès (1978).
« ANA non « est l’histoire d’une vieille femme andalouse Ana Paücha, après la guerre d’Espagne de 1936. Elle a perdu son mari pêcheur et ses deux fils aînés morts tous trois à la guerre. Trente ans après, elle entreprend une longue marche vers le Nord de l’Espagne pour y retrouver son dernier fils Jesus « le petit, », (53 ans) en prison depuis la fin de la guerre et l’embrasser une dernière fois avant de mourir, en lui apportant « son pain aux amandes huilé, anisé, fortement sucré, un vrai gâteau », leitmotiv anecdotique murmuré qui traverse et martèle le roman.de façon obsédante.
« ANA non » est le récit d’un voyage tourné vers la déchéance puis la mort, roman qui comporte tous les codes du roman initiatique qui fonctionnerait « à l’envers » puisque ce genre littéraire concerne le plus souvent un héros Ana Non » serait davantage le roman de la dés initiation.
Cette dégénérescence, ce déclin d’une vieille femme qui se dépouille peu à peu jusqu’à perdre toute dignité, sont accompagnés d’une évolution d’Ana bien réelle car peu à peu au cours de son errance le long des voies de chemin de fer vers le Nord, Ana va apprendre ce que ses compagnons de route vont lui transmettre. D’abord une vieille chienne affamée, qui croise sa route par hasard, d’abord ennemie, s’adoucissant au cours de la pérégrination, est la compagne qui l’aide à trouver des restes de nourriture, chiot mort, rats, légumes pourris ; à côté d’elle, les villes sont désertes, sales, malodorantes, pleines de déchets et de pourriture. Ana n’est plus qu’un mammifère qui se bat pour se nourrir et survivre : il n’y a plus de place pour la Vie., le « rien », sonne comme une fin.
« La chienne n’est plus qu’une pelade… Les pattes de la chienne faiblissent de plus en plus, fleurissent de plaies et de pustules où les tiques sont à la fête. Les espadrilles d’Ana, n’ont plus de semelle. Elle a fini par envelopper ses pieds de chiffons. ».
Dans les descriptions de paysages majestueux du Sud de l’Espagne, « les deux vieilles font figure de tumeurs malignes parmi tant de splendeurs »…. Las, la chienne est capturée et noyée dans une fosse fermée en son sommet d’une grille en présence d’Ana. Nouvelle perte dans sa vie après son mari et ses fils, « elle a mangé en route ses faibles économies et… sous le portail byzantin de Notre Dame des Sept Conquêtes, Anna Paücha à soixante quinze ans tend la main pour demander sa première aumône. »
Son second compagnon est un chanteur aveugle Trinidad, reçu avec elle chez le gouverneur pour « un repas de charité exemplaire, hautement louable, un jour par an, les riches sont tenus de mettre un pauvre à leur table», puis rejeté le lendemain sans aucune aide pécuniaire ! (scène dénoncée avec une ironie terrible ). Cet « aveugle-voyant » marque un tournant dans le cours du roman : ils seront un guide l’un pour l’autre : « la cécité de son compagnon oblige Ana Paücha à le conduire par le sentier qui longe la voie ferrée. » Elle lui prête ses yeux, il lui propose de lui apprendre à lire et à écrire » ! « Mon petit voulait m’apprendre, il n’a pas eu le temps !». Trinidad est le personnage qui donne au roman sa vraie dimension initiatique : la quête vers le Nord se transforme en une quête vers le savoir. L’ambivalence entre l’initiation et la régression perdure cependant car Ana semble redevenir une enfant en apprentissage : avec son bâton il dessine sur la terre la brève silhouette des lettres. Ana suit, un mot puis un autre. En apprenant à lire, Ana n’est plus un personnage passif. Son histoire n’est plus racontée par la voix extérieure et protectrice, car elle est désormais capable de la prendre en main. La voix poétique (la Mort dès le premier paragraphe du livre) qui accompagnait Ana lui laisse la parole, lui donne le pouvoir. La poésie disparaît pour laisser place à un récit à la première personne, SIGNE DE SON INDEPENDANCE NOUVELLE, décision soudaine : « elle va raconter l’histoire de sa vie. Puisqu’elle sait enfin lire et écrire, elle peut parler d’elle-même ! »
Suit un chapitre dominé par la présence du «je » d’Ana (Ana lettrée) qui dresse une rétrospective de sa vie depuis son enfance. Le voyage vers le Nord et ce changement de ton oral réunifie et donne une cohérence,. d’autant plus authentique qu’il tranche avec l’écriture poétique des autres chapitres. Elevée dans un milieu masculin (ses frères, « mes douze pères, » pêcheurs comme le père ), Ana découvre l’amour avec Pedro Paücha, le soir même de l’enterrement de ses deux parents dans le lit de mort de ceux-ci, dans la sueur ! Il l’épouse, naîtront trois fils.
A la quête du savoir s’ajoute celle de l’unité perdue. Le voyage vers le Nord est une poursuite vers l’unité : Ana est un personnage à la fois un et multiple C’est aussi l’unité de la femme enceinte qu’elle recherche « cette totalité unique qui fait des femmes le réservoir de la vie ». Elle poursuit le souvenir de « son petit », de même qu’elle attendait le retour de la barque « Anita, la joie du retour ». La barque ( Charon le passeur) et le ventre fécond sont tous deux liés à l’origine et au retour. Elle se dirige vers la mort, désormais capable de regarder son existence passée morcelée. Trinidad a été arrêté mis en prison en raison de son opposition au régime, clamée sur les places publiques.
Suit un épisode des plus violents, celui de l’hôpital Provincial, « port de catastrophe » où échouent les morts vivants : tuberculose, cancer, lèpre, agonisants, cardiaques, morts nés y trouvent- leur terminus ! « tout ce qui pue la mort y atterrit ! » Ana y a trouvé un petit travail, nettoyer les cadavres. pour quelques piécettes. C’est l’épisode du renoncement et de la résignation : plus de lutte possible contre la mort
« Ana non » c’est aussi l’histoire de la guerre d’Espagne, toile de fond et racine du roman, sous forme d’allusions éparses ou d’épisodes ponctuels, le roman se concentrant davantage sur le trajet de la vieille femme. Ana résignée est le symbole de l’Espagne vaincue. La guerre contribue à sa déchéance. Si le roman n’a pas la forme d’un pamphlet comme l’écrit Bernanos dans « Les grands cimetières sous la lune », cet épisode a une forte résonnance politique.
Dans une ville, Ana est sollicitée et emmenée en car avec des nécessiteux vers une autre ville pour une manifestation de rue. Ana, la rouge participant, naïvement à une manifestation franquiste : « il apparaît entouré de sa gloire, faite de force et de sang. Il devrait être gigantesque, démesuré par sa taille et son rayonnement, cosmique d’attirance, divin de souffle. Non, il est petit, contrefait d’allure, chétif, vieux…Aucun synchronisation entre l’homme et le personnage victorieux. Soudain Ana entend son nom : Un Viva Franco ! angoissé, craché par toutes les bouches, payées et payantes comme si c’était le dernier cri du monde ». La vieille femme vomit, quelques instants plus tard, elle déchire en petits morceaux et jette les quatre cents pesetas reçues ».
Elle va refaire à pied les quatre cents kilomètres en sens inverse ! Elle n’est pas sans rappeler « la Mère » de Gorki. Ana mourra dans la honte de cette guerre que Bernanos appelle « une farce » qui lui a enlevé son mari, ses trois fils pour finalement l’anéantir elle aussi. Elle est à la fois une Antigone entêtée qui refuse de se taire, qui continue de se battre malgré la honte et le déshonneur pour sa cause, une nouvelle Hécube anéantie par la mort de son fils, animée par un désir de vengeance. Malgré la Mort, il est difficile de parler d’échec, sa fin a malgré tout une dimension glorieuse. A la fin du roman, Ana se met à rire face à la mort qu’elle affronte avec dignité. Ana dont le prénom signifie « mère de la mort et de la vie » apprend à dire « oui » à la mort, elle s’est livrée à la quête de son propre nom, arrivant au bout de son périple pleinement une et unie à ses fantômes. :
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