J’ai trouvé beaucoup d’intérêt dans deux épisodes particuliers : d’abord celui où Ana et Trinidad arrivent suivant le fil rouge imaginaire qui traverse ce livre, lors de leur chemin de croix, le long de la voie ferrée à « El Valle de los Caïdos », la Vallée des Tombés, l’immense vallée enlaidie, transmuée en monument de gloire et de victoire, le mémorial, aux républicains, sans aucun nom des soldats tombés, « la croix est aussi haute que le vol des corbeaux. Elle s’élève jusqu’aux aigles.. Une pierre verticale qui monte vers le ciel, fermement. ». Ana ajoute : « Dieu n’est pas crucifié sur ses bras, elle est nue » et Trinidad ajoute : « Croix-épée, enfoncée dans la terre après la victoire, croix de force ! ».
Ana, la vue d’un soldat républicain, fouille les lettres, les mots, les saints, les couronnes de pierre, les symboles, toutes sortes de signes : les noms de ses morts n’y sont pas. Trinidad lui explique que des milliers de prisonniers ont travaillé à la construction de l’édifice, peut-être ses fils : « beaucoup y ont laissé leurs os mêlés au béton. ». Il lui confirme « qu’ un républicain, un rouge, n’a pas de patrie, pas de postérité »
Enfin, le deuxième épisode que j’ai retenu est celui où Ana est recueillie par le directeur d’un cirque miteux « le Grand cirque universel » qu’elle accompagne vers le Nord, logée dans un des trois compartiments de la caravane du directeur, avec une vieille guenon, un caniche aux dents acérées, un perroquet qui pique et une chèvre. La deuxième cabine est la demeure du « phénomène » qui se livre durant le voyage « à des méditations cosmiques».
Dans la troisième cabine, « la grosse égérie sur maquillée » raconte bruyamment des anecdotes salaces au Directeur. Lorsque « tous deux font la fête » en buvant du vin épais, Ana est contrainte de se réfugier à la place du mort dans la jeep d’accompagnement. L’égérie « rondeurs grasses couvertes de paillettes, juchée sur des talons, araignée monstrueuse, » qui annonce le programme, est séduite par un éleveur de taureaux :: « l’héritage insolite de présentatrice » échoit désormais à Ana, travestie par la naine avec de la soie et des plumes : « Pourquoi la Mort la laisse-t-elle profaner ses souvenirs-sanctuaires ? » Cette évocation du film consacré à Maria Montes est très réussie.
Cependant, un intervenant, annonce être resté à côté du roman, il le voit comme roman de la rédemption, mélange métaphorique, dénonçant la force corrosive du décorum de l’Eglise.
Danielle y décèle une œuvre du baroque flamboyant avec des références cinématographiques à Bunuel, le misérabilisme d’Ana : référence « aux Vieilles » de Goya, un hommage typique espagnol de l’auteur à l’écrivain
Je suis entièrement d’accord avec l’explication du roman d’apprentissage, de mémoire, qui est un peu long du point de vue du cheminement d’Ana qu’il restitue cependant parfaitement mais « incredible » pour l’alphabétisation par un aveugle en un mois et demi (mon métier) et l’apprentissage de la logorrhée politique insufflée à Ana. J’ai dit « livre écrit par un homme, pour des hommes », réminiscence de Montaigne « Les lois sont faites par des hommes pour des hommes ! ». Certes, son mari et Jesus avaient une conscience politique mais Ana n’est, durant toute sa vie de fille et d’épouse écrasée, qu’une pauvre petite femme de pêcheur, décrite comme une femme amoureuse par un homme avec son langage personnel qui n’est pas celui d’une paysanne andalouse s’usant les yeux à regarder la mer bleue, guettant le retour d « Anita, la joie du retour », qui enduisait de goudron la barque du mari, lavait, ravaudait le linge de ses frères, du père, du mari, des fils et attendait patiemment la lecture par Jesus, le petit, du feuilleton journalier « les moineaux du trottoir ». J’ai évoqué l’idée, de ce fait, que le découpage du livre avait peut-être été conçu afin de paraître, dans un avenir improbable sous forme de feuilleton d’apprentissage dans un journal républicain pour les générations futures. Opinion contestée par le groupe.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire