Une Saison en Enfer d'Arthur Rimbaud


UNE SAISON EN ENFER   - Arthur Rimbaud (1854-1891)                                                                                                                                                                                                                                                                                Monique Bécour
Le 17 Octobre 2010, Doriane, enseignante, agrégée, doctorante à Aix, nous présente « Une saison en enfer ». Son travail de recherche actuelle porte sur le corpus « Rimbaud et la musique ».
Elle situe le texte dans les poésies conventionnelles et nous dit qu’il y a contemporanéité entre la rédaction d’ « Une saison en enfer » et « Les Illuminations »  dont  Todorov en 1970 a souligné l’importance  de  l’opacité.

Je rappelle un peu d’Histoire : à la fin du second Empire, la politique comprenait deux partis : la droite conservatrice de coloration bonapartiste dont le programme était : ordre, grandeur, religion et la gauche libérale qui préparait l’avènement de la République, le règne de la Science et la mort de Dieu.
Le 25 Avril 1871,  Rimbaud pour la deuxième fois arrive à Paris, venu en stop-charrette car trop démuni pour acheter un billet de train. Accueilli par les fédérés aux barrières, auxquels il raconte les bombardements de Charleville-Mézières ; ceux ci font une collecte pour recueillir 21 francs et 16 sous puis il est dirigé vers la caserne de Babylone. (Sèvres-Babylone actuel). Versailles préparait l’assaut final, il rencontre dans l’atelier d’André Gill (le « cabaret à Gill de Montmartre ») Jean Louis Forain avec lequel il vadrouille, gavroche, voyou  dans Paris avec Germain Nouveau et Verlaine (1844-1896)..
Rimbaud écrit son « Chant de guerre parisien » et sa « Constitution communiste » : rêve utopique, la monnaie supprimée, pouvoir central aboli, communes indépendantes et fédérées, le référendum est le fondement du pouvoir exécutif. Le contact avec la soldatesque débraillée le dégoûta, brisa son élan et sa foi révolutionnaire coula à pic. Trois poèmes en font foi : « Le cœur supplicié », « Le cœur du pitre » et « le cœur volé » trouvent leur origine, selon certains commentateurs  dans une tentative de viol que les Communards auraient fait subir à Rimbaud, rien n’est sûr, mais les mots « troupe », « poupiesque » n’excluent pas une polysémie de mots » : clé du poème clair-obscur.
Le grand drame social avait faire monter à la surface la lie des bas fonds. Les Versaillais prétendaient que c’est l’alcool qui a tué la Commune, survint  la sanglante répression versaillaise le 8 Mai 1871. Rimbaud aimait la Révolution mais non les révolutionnaires. Selon un critique «  La brève incursion dans Paris assiégé  ne valait pas l’étiquette de  «  Rimbaud, le communard » au sens strict, mais si l’on fait passer l’intention avant les faits, la légende est plus vraie que la réalité ».

Je précise encore que lorsque Rimbaud à la jeunesse anticléricale, très doué pour le latin-grec, écrit son  poème «  Le bateau Ivre », (Juillet 1871) poème épique c’est pour être adopté par l’Ecole Parnassienne qui plaçait l’Art incorruptible au-dessus de toutes les servitudes morales, politiques ou religieuses. Le poète méprisait le christianisme.  Théophile Gautier (1811-1872), ami de Nerval, (1808-1855), -   tous deux « Jeunes-France », lors de la bataille d’Hernani, donc  Théophile Gautier  méprisait le néant, Leconte de Lisle (1818-1894) le nirvana, Rimbaud ne prisait que les cosmogonies barbares.

 Doriane insiste sur le fait qu’il y a  paradoxe entre sa vie non conformiste, constante opposition à la Société même s’il fait partie du Parnasse contemporain, qu’il y a intrication entre biographie et écriture littéraire : vie de provocation dans les premiers poèmes de jeunesse, anti-bourgeois, très  adolescent.  Dans « A la musique » (Les cahiers de Douai- Juin 1870) se devinent en filigrane, les multiples fugues pour échapper à sa mère et à l’éducation étouffante. La mère élève seule dans une grosse ferme à gérer,  quatre enfants, père parti donc « femme forte ». Il ressent de la haine pour la civilisation chrétienne et industrielle. Sa vie de provocation est lisible dans ses premiers poèmes de jeunesse : « le bateau ivre », ses poèmes « Ma Bohême », « Le dormeur du Val » assez clairs sémantiquement, « Roman » : « on n’est pas sérieux quand on a 17 ans ». Suit une poésie objective, rejet radical du romantique  Théodore de Banville (1823-1891) qu’il moque et met à distance. (seconde génération des Parnassiens, transition entre Th.Gautier et les jeunes Parnassiens.)

L’athéisme de Rimbaud n’était pas le fruit de la Raison, comme chez les scientifiques par exemple, mais une répulsion épidermique, religion associée à autoritarisme dans la famille, au collège, dans le Palais présidentiel, dans l’Eglise de Dieu. Rimbaud évoluait vers l’intolérance et l’absolutisme.
Le Voyant : arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens : « Je » est un autre ». S’éveiller dans la peau d’un autre.
La fatalité a fait de moi un poète, Etre poète c’est être voyant, Pour être voyant il faut dérégler ses sens et se rendre hideux.
Jusqu’ici aucun poète n’a tenté l’expérience de la voyance intégrale » par tous les moyens, l’absinthe « quelque liqueur d’or qui fait suer » (l’alchimie du Verbe),  l’hallucination par la drogue : « j’expliquai mes sophismes magiques avec l’hallucination des mots ».
Le voyant était très répandue à la fin du XIXème siècle. Mallarmé le dit de Th. Gautier, Th. Gautier le dit de Baudelaire , Nerval le dit de lui-même. Arthur Rimbaud le prend dans un sens biblique : celui qui voit au delà des choses de Dieu



Outre le dérèglement raisonné de tous les sens, l’ascèse de la Voyance c’est « l’encaquement, l’encrapulement volontaire ». Rimbaud veut se faire l’âme monstrueuse, « devenir le grand malade, le grand criminel, le grand maudit et le suprême Savant car il arrive à l’inconnu ! »
Victor Hugo dans « L’homme qui rit » : « J’ai éprouvé, j’ai vu, je suis un plongeur et je rapporte la perle : la Vérité ».
Aucun poète n’a encore été totalement : « Voyant »,  Baudelaire a failli l’être mais a vécu dans un milieu trop artiste, Paul Verlaine, « un vrai poète » et Albert Mérat sont les deux seuls voyants de l’Ecole Parnassienne contemporaine. Rimbaud a décidé d’être le premier voyant intégral, il sera le défricheur, « vrai chemin de croix », selon Verlaine car Rimbaud est prêt à endurer toutes les tortures qu’il savait nécessaires et inévitables.

Doriane insiste sur le fait que dès 1872, Rimbaud et Verlaine  travaillent dans le même sens  :  l’atténuation, la dislocation du vers,  le  déplacement de la césure pour créer quelque chose de l’ordre de la chanson, pour créer l’ effet produit «  assonantique » par vers cours, mètre court. Il veut explorer les ressources du vers,  notre intervenante prend comme exemples : » Chanson de la plus haute tour », « l’Eternité », sur modèle de la chanson donc pour ouvrir la voie vers le vers libre de la fin du siècle. Le sens s’obscurcit à l’extrême («La saison»,  «Au château»), très laconiques , difficiles à interpréter, insiste-t-elle.
En 1873, survient pour Rimbaud, le passage à la prose, après une longue errance avec Verlaine. A Bruxelles où survient le drame : Verlaine (la vierge folle) tire sur Rimbaud qui l’a menacé de le quitter et le blesse à la main.  « Une saison en enfer », c’est l’aventure de la langue polyphonique, très lyrique, (le je), dialogue d’une grande complexité, beaucoup de théâtralité  car les voix traversent la conscience individuelle reprenant les thèmes rimbaldiens, le désir d’évasion, le retour aux sources païennes antiques, la haine de l’Occident « mauvais sang », la haine de l’Histoire de France ou plutôt la mise en opposition,  le questionnement, la remise en question de la révolution, le vide absolu du sens,  l’entrée chez les enfants de Cham ce fils de Noé qui passe pour être aux origines de la race noire. Il avait projeté d’écrire « un livre nègre ». Ces pistes doivent permettre une double lecture.
Métapoésie : la forme donne le sens. Todorov parle de la dissolution du référent.
« La Saison en Enfer », » Délire II, avec  l’alchimie du Verbe », montrent Rimbaud comme fondateur de la poésie moderne, par sa prose aussi, la modalité des phrases, l’invective font penser à Céline.
Après 1876, Rimbaud suit sa voie de nomade, quitte le Continent, passe par Alexandrie, Chypre, l’Ethiopie (Harar et Aden) pour y faire commerce : café, coton, bimbeloterie, armes mais non trafic d’esclaves. Il finit sa vie en Champagne à la ferme Roche. Restent des zones d’ombres car Isabelle, sa sœur voulait répandre l’idée de la conversion d’Arthur après la mort du poète à 37 ans.
Victor  Segalen a fait effort pour faire tenir «  Rimbaud et l’aventurier » dans « Le double Rimbaud »  (Victor Segalen).
RIMBAUD ET LA MUSIQUE
 Il fût peu mis en  musique, un peu par Fauré et Debussy mais dans les années 1950, Gilbert Amy  disciple de Boulez qui a déjà mis en musique Mallarmé, produit une œuvre électro-acoustique, avec chœur, percussions, éléments préenregistrés sur bande acoustique (réf.IMM – 1980) qu’on peut trouver, nous dit Doriane,  en bibliothèque. Enregistrement  de  bruits blancs, de  percussions avec tambours africains en fond sonore, voix des comédiens, donc polyphonie vocale. S’arrête à « l’Alchimie du Verbe », point culminant du disque avec des voix soprano colorature accompagnées d’un piano bar, dont elle tempère l’effet par « une distance critique ».
« Les Illuminations » de Benjamin Britten en 1939 homo lui-même indique-t-elle,  puis un canevas et une reprise d’ Ernest Cabaner.
Existent une dizaine d’opéras écrits en 2004 – 2007 par Mathias Pinche, musicien et ingénieur audio contemporain.
 Léo Ferré : « une saison en enfer » proche de Patty Smith et de Rimbaud.





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