Pascal, «Les Pensées».
On ne relit pas Pascal, on le lit à nouveau chaque fois, car les entrées sont innombrables : sciences cognitives actuelles des « ruses » de la pensée (153)(370)(237), psychanalyse du moi (100), conduites et comportements sociaux (100,141), judiciaires (142,..), politiques (294,325,330,145), angoisse existentielle, savoir, anthropologie (93)(252), recherche de la Vérité.
Emmanuel Mounier impute à Pascal l'Existentialisme: Augustin (Confessions) est peut être responsable de la première faille dans le monolithisme paulinien catholique socio-religieux en initiant l'examen de conscience, le Moi, corrigé aussitôt par la distinction entre l' «amor dei » et l' «amor sui» radicalement haïssable. Mais la Modernité advenue, la graine semée va germer chez Montaigne pendant que Dieu s'efface du politique chez Machiavel. Le génie de Pascal -et sa perte - à la charnière de l'époque classique: concevoir, « encaisser » l’impact, au delà de la dualité, de la complexité du monde de l'homme (où accessoirement l' «amor sui », la concupiscence va permettre le progrès).
Car l'existentialisme c'est le risque et le courage de « refuser tous les refuges » de la pensée qui permettent à l'homme d'« avoir la paix » : le divertissement bien sûr, l 'Histoire comme scenario convenu, sans surprise, les systèmes philosophiques comme des Tout, fermés à la contingence, la coutume et tout ce qui met à la marge le hasard, l'émergence, l'imprévisible, la vie même.
L'homme s'avère contingent entre deux infinis (72), mais aussi (412) entre passion et raison contraires et se contrariant pour l'empêcher d'atteindre le Vrai radical (qui n'existe sans doute pas) (83,233) entre les sciences où il excelle et l'incomplétude permanente des savoirs, chasse d'un lièvre qui court toujours et que d'aucuns dénient ou négligent dans une suffisance de « salaud sartrien » (413) avant la lettre, jusqu’au scientisme récurrent des siècles à venir.
Désarroi de l'individu sans assise stable et nostalgie douloureuse (425) d'un dieu tombé des cieux cherchant à combler le néant infini et indicible entre le Mot et la Chose, entre le réel inaccessible et la réalité partielle et trompeuse, néant que seul Dieu peut combler parce qu'infini lui même- c'est du moins l'attribut que lui confère « axiomatiquement » Pascal, Dieu-Néant ou concept actuel de vide quantique d'où tout émerge avant d'y retourner : en sommes nous plus « comblés »?.
Individu écartelé (437) échouant à concilier l'humilité du ver de terre et la puissance du géomètre, l'intuition indicible et le nombre rationnel, le calculus et le scrupulus : tâche impossible. La cohérence de Pascal, antidogmatique (199) est un oxymore. Elle est dans sa dialectique, son épouvantable dialogue intérieur, l'angoisse du duel dans l'opacité d'un dieu plus biblique que chrétien, abscons, arbitraire dans le don de sa grâce, patriarche insensible aux « manières » des molinistes.
Homme ni ange ni bête, homme qui passe l'homme, être de misère infime mais grand car lui connait sa fin sanglante: il croit pouvoir en pariant mais ce n'est qu'un calcul de plus et le problème reste entier entre l'angoisse du vide, la maladie invalidante comme ascèse de sa vie libertine et de sa triple libido scienti, sentendi et dominandi :torture de l'incontournable bipolarité de l'homme qui ne peut le laisser en repos dans sa chambre ni dans le monde :il ne se reconnaît que dans ceux qui cherchent en gémissant (421).
Mounier nous dit que le ciel vide de l'existentialisme athée n'a pu que conduire Nietzsche dans l'abîme de la folie. Mais Pascal garde cousue dans son manteau la preuve intime et dérisoire d'une formidable extase. Trop lucide pour espérer la partager avec les autres, trop humain pour espérer la garder tout le temps dans sa plénitude il en fait un talisman manuscrit secret, la preuve indiscutable d'une complicité avec l'absolu.
Gilbert Lehmann
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