Amara LAKHOUS, «Choc des civilisations dans un ascenseur Piazza Vittorio»

Séance du 8 mars 2010


Amara  LAKHOUS
Choc des civilisations dans un ascenseur Piazza Vittorio











Etrange aventure que celle de ce livre !
      publié  en arabe sous le titre « Comment me faire allaiter par la louve sans me faire mordre ?» (Editions El Ikhtilef – ALGER - 2003)
      réécrit (et non traduit) en italien par l’auteur lui-même sous le titre « Scontro de civilità per un ascensore a piazza Vittorio » (Editions e/o - Rome-  2006). Enorme succès de librairie. Prix littéraires prestigieux : prix Sciascia-Racalmara / prix Flaiano.
      traduit en français « Choc des civilisations dans un ascenseur Piazza Vittorio » (Actes Sud – 2007) – grand succès en France également.
      en 2008, publié en Algérie en français cette fois, et sous son titre français,  il obtient le « Prix du salon international du livre » d’Alger – salon où il représente la littérature italienne !
  


Amara LAKHOUS

        Il est né à Alger en 1970.
        Il parle kabyle dans sa famille, apprend l’arabe à l’école coranique, le français à l’école publique. Il fait des études de journalisme.
         Il doit quitter son pays en 1995, et s’installe en Italie, où, dit-il, « il est accueilli par la langue italienne », qu’il apprend dans un cours pour immigrés.
          Il vit alors dans un milieu où se côtoient des personnes de toutes les nationalités, des immigrés récents (l’Italie n’était pas dans le passé une terre d’immigration). Il entreprend des études d’anthropologie. Son travail universitaire porte le titre : « Vivre l’Islam en situation de minorité. Le cas de la première génération des immigrés musulmans arabes en Italie »
         Il est actuellement chercheur en anthropologie et journaliste.

             Immigré lui-même, vivant parmi des étrangers venus du monde entier, anthropologue spécialisé dans l’étude de ce milieu, Amara Lakhous se présente évidemment comme un écrivain de l’immigration. Mais pas question pour lui d’écrire des récits personnels, des autobiographies relatant les difficultés de la vie en terre étrangère. Il voit dans cette situation particulière l’occasion d’un regard neuf sur la vie d’une société. Il est également intéressé par le bilinguisme : la transposition dans une langue nouvelle d’expressions et d’images venues de la langue d’origine est pour lui source d’enrichissement littéraire.

Le choc ces civilisations
           Cette expression fait ouvertement référence au livre de Samuel Huntington « Le choc des civilisations » (1996). Dans ce livre, l’auteur analyse la nouvelle situation mondiale après l’effondrement du bloc soviétique : les conflits entre les hommes ne sont plus politiques, ni nationaux, ils sont d’ordre culturel et religieux, et peuvent éclater à l’intérieur d’un même pays, comme on l’a vu en Yougoslavie par exemple.
             Amara Lakhous s’oppose très énergiquement à cette vision du monde très
        répandue aujourd’hui. Elle est créatrice d’après lui de haine et de violence, et sert à justifier des politiques d’exclusion.  « A-t-on jamais vu des chocs entre des poètes italiens et des poètes arabes ? »

       
     
Le roman
          Lakhous donne lui-même les modèles qui ont inspiré son écriture : Pirandello, Sciascia, Gadda, la comédie italienne….
          Roman/puzzle, roman choral, mi-comédie italienne, mi-roman policier, il est écrit selon une structure vraiment originale.
           L’un après l’autre, 11 habitants d’un immeuble romain parlent à un interlocuteur qui n’intervient jamais :
              « La vérité selon… »
                   Parviz Mansoor Samadi       cuisinier iranien
                   Benedetta Esposito               concierge napolitaine
                   Iqbal Amir Allah                  épicier bangladeshi
                   Elisabetta Fabiani                 femme romaine
                   Maria-Cristina Gonzalez      garde-malade péruvienne
                   Antonio Marini                     professeur milanais
                   Johan von Martin                 étudiant hollandais
                   Sandro Dandini                    cafetier romain
                   Stefania Massaro                  voyagiste romaine
                   Abdallah Ben Kadour           poissonnier algérien
                   Mauro Bettarini                    commissaire de police romain

          Chacun parle avec une langue particulière, en fonction de ses origines, de son métier, de sa situation personnelle, de ses relations avec les autres : tel ne cesse de regretter son pays d’origine, tel essaie de s’intégrer, tel respecte la religion des autres, tel revendique un Islam intransigeant, tel ne supporte pas les gens de Sud, tel ne supporte pas les gens du nord, …
           Mais tous ne parlent que d’une seule personne : Amadeo. En effet un meurtre a eu lieu dans l’immeuble, et Amadeo a disparu, ce qui en fait un suspect parfait. Mais qui est Amadeo ? Est-il seulement Italien ? D’où vient-il ? Il connaît si bien notre ville ! Il parle si bien italien ! Chacun croit le connaître, tous l’apprécient. Il est généreux, il s’intéresse à tous, il aide ses voisins…personne ne veut voir en lui un assassin. Mais comment expliquer sa disparition ?
          Grâce à ces monologues successifs, l’auteur nous fait découvrir une société très  complexe, riche en difficultés et en malentendus, mais dans laquelle on est bien obligé de vivre ensemble. Et il nous offre un catalogue très  réjouissant de toutes
       les stupidités qu’on peut entendre (ou dire ?) sur les étrangers.

           En alternance régulière avec ces monologues, l’auteur intercale des « hurlements » : la confession intime d’Amadeo, recueil de ses pensées de ses souffrances.  « Maintenant je connais Rome comme si j’y étais né et que je ne l’avais jamais quittée. J’ai bien le droit de me demander si je suis un bâtard comme les jumeaux Remus et Romulus ou bien si je suis un fils adoptif ! La question fondamentale est : comment me faire allaiter par la louve sans qu’elle me morde ? A partir de maintenant, je dois perfectionner mon hurlement comme un vrai loup »

                                                     *********


          Ce qui fait l’originalité de ce livre, c’est cette structure particulière, qui permet au lecteur de découvrir la vie foisonnante d’une société, sans perdre le plaisir propre au roman policier : qui est Amadeo ? et qui est l’assassin ? Et quand à la fin on a la réponse à ces questions, on éprouve le besoin de le relire immédiatement, pour reconstituer le puzzle à la lumière de ce qu’on vient de découvrir.
           C’est aussi l’attitude étonnante d’Amadeo, qui à plusieurs reprise, et avec insistance, affirme qu’il n’aime pas la vérité. Jamais il ne dément  une affirmation erronée, jamais il ne rectifie un malentendu. Il cite Sciascia (« Le jour de la chouette »): « La vérité est au fond d’un puits. Vous regardez dans un puits : vous y voyez le soleil et la lune ; mais si vous vous jetez dans le puits, il n’y a plus ni soleil ni lune ; il y a la vérité ».
            Amadeo partage ici l’opinion de l’auteur qui affirme : « Je préfère le malentendu constructif duquel naît le dialogue. La pire chose qui puisse arriver entre deux civilisations est l’indifférence. A l’image des autoroutes terriblement ennuyeuses puisqu’à sens unique. Les rues avec des carrefours réservent des surprises et de nouvelles routes à parcourir .De la croisée des chemins émerge la connaissance. »

Paulette Queyroy

   




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