"Vies minuscules" de Pierre MICHON le11 mai 2003



Comme souvent, nous avons commencé notre débat en donnant la parole à ceux qui n'ont pas aimé le livre. Claude Simonnot était l'un de ceux-là, et remarque que Michon lui-même, par autodérision, donne des arguments pour dévaloriser son oeuvre en la traitant de "risible cuistrerie". Le style en est fleuri et l'on cite un article de Louis-Martin Chauffier flinguant Michon et Quignard, bien représentatifs de "l'esprit France Culture".

Michel Boudin a trouvé que le style cache les personnages et que la manière domine la matière. L'effort d'écriture est trop visible, mais c'est volontaire de la part de l'auteur. Les phrases interminables longues de plusieurs pages ont rebuté certains.

Après cela, ceux qui ont aimé l'oeuvre et qui constituaient la majorité de l'assemblée, se manifestent à leur tour pour citer d'abord quelques passages sobrement écrits comme la mort de la petite fille ou celle du saint-cyrien dans laquelle le froid qui règne se transmet au lecteur de manière sensuelle.

Certains, dont je fais partie, ont été bouleversés par ce livre. Le choc a été pour moi du même ordre que celui ressenti il ya quelques années à la lecture, suggérée d'ailleurs par Direlire, du "Voyage au bout de la nuit" de Céline.

Bien sûr, il s'agit d'une oeuvre autobiographique marquée par l'absence du père, des pères en réalité, et c'est par les femmes que la lignée se perpétuent.

Ces vies minuscules sont aussi grandes et riches que celle des hommes illustres, car "Aussi longtemps que les artistes les ignorent, les conquérants ne sont que des soldats vainqueurs".

Antoine VIQUESNEL

 

Pour illustrer la séance sur "Les vies minuscules " de Pierre Michon nous reprendrons ci-dessous quelques propos de l'auteur tenus lors d'entretiens avec divers journalistes :

-"...je voudrais revenir sur ce terme de minuscule, qui a été la cause de bien des malentendus,...en disant qu'il serait regrettable d'en faire un synonyme d'humble, de modeste, de pauvre, de petit,etc. Il n'y avait pas de misérabilisme dans cet adjectif. Je pourrais dire en simplifiant que j'ai appelé minuscule tout homme dont le destin n'est pas tout à fait à la hauteur du projet, c'est-à-dire tout le monde." (1)

-" "Les Vies Minuscules" s'organisent autour de la maison abandonnée par mes grands-parents maternels, aux Cards. Joli port de mer que ce pays de déshérités, ce pays d'alcoolisme intense, où des êtres naissent diminués par leur origine. C'est peut-être pour cette raison que les personnages de mes romans ont dès le départ un handicap. Mais je me suis toujours senti responsable de cet endroit, comme de la mémoire des grands-parents. Seulement je ne pouvais pas retourner là-bas en situation d'échec absolu. Je n'avais pas un rond avant le succès des "Vies Minuscules" ...Grâce au livre, j'ai pu faire de ce lieu désolé une vraie maison." (2)

-"Toute cette louche étiquette de styliste qu'on veut me faire endosser, qu'on me le reproche ou qu'on m'en félicite, je ne me reconnais pas trop là-dedans. C'est peut-être par hasard que j'ai pris cette façon-là, cette main à plume précisément et pas une autre, c'est très circonstancié au départ et maintenant je ne peux plus m'en débarrasser. Il faut remonter au départ: cette langue exagérée m'est venue au moment des Vies Minuscules et pour les Vies Minuscules , afin d'installer ces vies dans l'écart le plus grand entre leur référent minable et les grandes orgues dont je jouais pour rendre compte de cette nullité- pour en rendre compte, et dans le même mouvement la dépasser et la magnifier. La transformer en son contraire. ça a été ma recette personnelle pour échapper au pire, qui est le nihilisme, ça a été ma façon d'avoir la foi en quelque sorte. Si c'est la langue des anges qui rend compte de la vie bousillée de journaliers alcooliques du fin fond de la cambrousse, alors ils sont sauvés et celui qui en parle est sauvé avec eux....une langue trop belle charriant les existences nulles et leur donnant sens, ce processus de positivation du rien si on veut, c'est ce qui me donne de la joie et une espèce de foi quand j'écris. Qui me donne du sens à moi aussi". (1)

-"J'ai mis dix-huit ans à sauver ma peau, à écrire mon premier livre "Vies Minuscules", et je suis encore dessous....Mais je ne peux pas rester celui qui a écrit "Vies Minuscules". Le narrateur était un écrivain qui n'écrit pas, ce ne peut plus être moi puisque justement j'ai écrit . Celui qui l'a écrit est mort et je ne sais pas, à ce jour, si de ce cadavre sortira une nuée de mouches ou une oeuvre phénoménale".(3) -"Je n'ai pas besoin d'inventer des vies, des personnages. Il y a suffisamment de gens qui sont morts et qui attendent que l'on parle d'eux....Lorsque j'écris, je pense toujours au mythe de la résurrection des corps dans le christianisme. J'anticipe le jour du Jugement dernier. Ces hommes qui ont eu de la chair...je m'efforce de les faire revivre. Qu'ils se lèvent, qu'ils sortent du tombeau...Pour changer leur viande morte en texte, leur échec en or. Une fois de plus."(3)

-"C'est Faulkner qui m'a donné la clef, la violente liberté, l'audace d'entrer dans la langue à coups de hache. Il est le père de tout ce que j'ai écrit."(4) -"Le miracle c'était simplement, à près de quarante ans, de pouvoir danser, enfin, sur mes deuils. C'était que mon désastre intime se résolve en prouesse, mon incapacité en compétence, ma mélancolie en exultation, bref toute chose en son contraire. Mais tout cela obtenu et prouvé, cette compétence, cette exultation, qu'en faire? C'est là le deuxième écueil, l'écueil de l'écrivain qui écrit. Le miracle initial, on est bien tenté de le transformer en métier."(1)

-"L'ambivalence est au coeur de ma mythologie personnelle, dans ce petit écart qu'il y a entre la bibliothèque et le réel, mon enfance dans la Creuse et la découverte des grands auteurs. J'adore la littérature et je ne cesse de la détester comme un paysan sa terre." On ne peut s'empécher de rapprocher cette affirmation de ce que P.Michon écrit dans les Vies Minuscules à propos du père d'Antoine Peluchet: " Or le père aimait son lopin: c'est à dire que son lopin était son pire ennemi et que, né dans ce combat mortel qui le gardait debout, lui tenait lieu de vie et lentement le tuait, dans la complicité d'un duel interminable et commencé bien avant lui, il prenait pour amour sa haine implacable, essentielle."

La séance de DIRELIRE elle-même fut , au début , un débat sans concession entre celles et ceux qui avaient aimé le livre , avaient été ému et avaient rencontré une écriture forte , et celles et ceux qui n'avaient pu franchir les trente ou quarante premières pages ou, les ayant franchies, trouvaient la langue trop fabriquée , la forme masquant le fond, etc.. La suite du débat sembla faire pencher largement l'assistance vers une appréciation "globalement" positive, les propos rapportés de P.Michon permettant de mieux apprécier l'homme et la lecture de quelques extraits donnant à beaucoup des envies de relectures

(1) LIRE début 1997 propos recueillis par Thierry BAYLE

(2)TÉLÉRAMA 7 Août 1996 propos recueillis par Valérie MARIN la MESLÉE

(3 )LIRE Décembre 1998 propos recueillis par Catherine ARGAND

(4)LIRE Mai 1997 propos recueillis par Marianne PAYOT "

 

Jean COURDOUAN.

 

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