"Le brocart" de Miyamoto TERU le 17 avril 2003


"L'homme qui est supposé être votre mari a déclenché une affaire de double suicide dans la chambre d'un hotel d'Arashiyama. La femme qui était avec lui est morte, mais il est possible que lui s'en tire". Première lettre d'Aki

"Mais de Yukako, dont les cheveux luisant de reflets noirs d'avoir été mouillés par l'eau de mer tombaient jusqu'aux épaules et qui tendait ses joues à la chaleur du réchaud, se dégageait quelque chose comme un charme accompagné d'une certaine ombre." Première lettre d'Arima

Provoquée par une rencontre "inopinée", cette correspondance s'établit entre les deux ex-époux, dix ans après le drame.

Celui qui tisse un brocart connaît à l'avance les dessins que des fils de soie , d'or ou d'argent feront apparaître dans la trame du tissu.

Dans le déploiement du "Brocart" (le roman) une idée, une impression retient particulièrement le lecteur; elle sera reprise, complétée par celui-là même qui l'a émise et c'est elle justement qui frappera son correspondant, provoquant l'émergence de circonstances, de sentiments jusqu'alors enfouis.

Ainsi l'intuition d'Aki devenue vision: "Entre Seo Yukako et vous passait un amour violent et secret , profond à en être triste, et sans aucun rapport avec moi" , conduit à raconter l'origine de cet amour, dont la scène emblématique (portrait supra) resurgit juste avant le drame et hante Arima tout au long du récit.

Ces échos, ces résonances (Annie souligne la place de la 39e symphonie de Mozart) nous les retrouvons pour tout ce qui est important dans le roman.

Jean souligne la subtilité et la particularité de cette écriture qui émane d'une culture différente de la nôtre.

Claude parle de la permanence de la tradition dans le Japon moderne, où l'on célèbre l'éclosion des fleurs de cerisiers et pratique encore Hara-Kiri (cf. le mimosa et la mise à mort du rat par le chat, lus par Annie)

Annie s'est attachée à relever les réflexions relatives à la vie, la mort, le karma, la marche de l'univers, scandés par la phrase "être vivant et être mort c'est peut-être la même chose" (repris 5 fois).

Elle s'intéresse aux considérations d'Aki sur le passé, l'avenir et finalement la nécessité de vivre "le Présent".

Une intervenante n'a pas aimé le livre trop triste.

A l'écoute de notre échange , Andrée, qui n'a pas lu l'ouvrage, a l'impression d'avoir à faire à trois romans différents:

- un mélodrame,

- un roman philosophique,

- un roman d'amour.

Signe que nous avons réussi à refléter un peu la richesse de cette oeuvre; mais ne possédant pas l'art de Miyamoto Teru nos paroles n'ont pu restituer l'harmonie, la cohésion des "motifs" de ce brocart.

Direlire remercie Jacquie Delachet grâce à qui nous avons lu ce livre."

Christiane VINCENT

Auteur peu connu en France, Miyamoto nous offre un livre étonnant devant lequel nous occidentaux sommes un peu comme George W. Bush devant Stendhal (dixit Jean Courdouan). Le roman évoque une situation très banale et universelle, un homme et une femme se retrouvent brièvement après s'être séparés il y a dix ans et ils s'écrivent une dizaine de lettres qui nous font pénétrer lentement au plus profond de leur relation et de leur rupture.

Comme l'a fait remarquer Andrée Corse qui n'avait pas lu le livre, nous avons lu l'impression que chaque lecteur qui s'est exprimé avait lu un livre différent, une belle histoire d'amour, un livre sur le destin, le caractère fortuit ou non des rencontres, le karma,.. mais une oeuvre toute de subtilité, pouvant décrire tantôt le combat cruel entre un chat et un rat, tantôt la fragilité d'une branche de mimosa qui se transforme en poussière dès qu'on l'effleure.

Les deux personnages vivent dans deux Japon différents: lorsqu'ils se rencontrent dans le télécabine, la femme , Aki, va observer les étoiles avec son fils alors que l'homme, Arima, cherche à échapper à ses créanciers qui le menacent de mort. Elle vit protégée dans un Japon traditionnel tandis qu'il survit dans le Japon d'aujourd'hui dur et violent.

Plusieurs fois Aki évoque l'émotion que lui cause la 39ème symphonie de Mozart que vous entendez en ce moment si vous avez branché vos haut-parleurs. Le brocart est un tissu de soie brodé de fils d'or ou d'argent, comme le montre la couverture du livre ci-dessus qui représente des fleurs de cerisier. La vie des personnages est aussi un tissu sur lequel les échanges épistolaires brodent des motifs délicats ou violents.

Encore une fois ce qui a séduit la plupart des lecteurs de notre assemblée, c'est la subtilité de l'écriture, le dévoilement progressif de l'histoire de ces deux personnages qui permet d'aller jusqu'au plus profond de leurs sentiments. Un très beau livre proposé et présenté par Christiane Vincent que nous remercions.

Antoine VIQUESNEL

Etoffe somptueuse tissée de soie entremêlée d'or et d'argent. Une robe de brocart pouvait peser jusqu'à quarante kilos.

Est-ce vrai? On l'a dit.

Pourquoi avoir donné ce titre à ce roman japonais contemporain?

Pourquoi le hasard a-t-il remis en présence , dix ans après, un couple divorcé? Pourquoi dans une cabine de téléphérique? Pourquoi Aki, la femme, a-t-elle éprouvé le besoin, après coup, de retrouver la trace de son ex-mari Yasuaki pour lui écrire? Ainsi en a décidé l'auteur. Comme de toutes les lettres de cette correspondance fictive étalée sur un an, comme de toutes les questions qui y sont posées.

La vie qu'est-ce donc? Le passé qu'est-ce donc? Pourquoi a-t-il fallu que mon fils naisse avec un tel handicap? Pourquoi cette grand-mère n'avait-elle que quatre doigts? Pourquoi cet homme est-il né noir et celui-là est-il né japonais? Et bien d'autres encore. L'un répond le hasard, l'autre le destin, le troisième le karma... Et Chrétien de Troyes (XIIe siècle)énonce:"La rose n'a pas de pourquoi". S'il le dit... Mais eux, imaginés par Miyamoto Teru, né en 1947, pourquoi ont-ils divorcé?

Ici la réponse est simple: Yasuaki, le mari, a été trouvé "suicidé" dans une chambre d'hotel ainsi que sa maitresse. Elle est morte, il a survécu. Ou plutôt, dit-il, est revenu d'un au-delà. La trente neuvième symphonie de Mozart a allégé le chagrin de la jeune divorcée - car elle a divorcé - tout en lui inspirant cette pensée bizarre:" Etre vivant ou être mort c'est peut-être la même chose". Peut-être...

Le récit semble jouer sur l'infini des "peut-être" entre un Japon traditionnel aux feuillages flamboyants, poudré du parfum d'un vieux mimosa, hanté par le suicide de quelque samouraï - Mishima ?- de madame Butterfly, et le pays de sinistre mémoire- Pearl Harbour , Hiroshima, Nagasaki - aujourd'hui Extrème Occident de notre monde où coexistent, comme partout, sans jamais se rencontrer, sans aucune possibilité de correspondance malgré "la toile", le Brocart et la guenille.

"Ca sue la tristesse, la délectation morose" dit quelqu'un qui a détesté. "Un mélo et rien de plus".

Un mélo qu'est-ce donc? Le titre d'un film d'Alain Resnais. "

Annie ROUZOUL.

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