Hannah Arendt naît en Allemagne en 1906.Philosophe, élève de Husserl et de Heidegger, elle fuit l’Allemagne pour les USA en 1941 où elle meurt en 1975.Sa liaison avec Heidegger notoirement NAZI et antisémite continue d’alimenter une vieille polémique peu reluisante qui a débuté dès la parution de La naissance du Totalitarisme en 1951 au motif d’un amalgame jugé pour le moins déplacé entre nazisme et stalinisme; cette odeur de soufre dont on l’entoure ne fera que s’accentuer après la publication Du Procès Eichmann où on lui reproche des opinions non conformes à la doxa manichéiste ambiante...
Camus publie en 1951 lui aussi L’homme Révolté et va subir le même type d’ostracisme pour les mêmes raisons, la bien-pensance étant de ne pas désespérer Billancourt.
L’ouvrage est une formidable analyse de la genèse, de la mécanique et de la philosophie du Totalitarisme, façon inédite de gouverner apparue de novo dans ce XX° siècle très particulier dans l’Histoire qui a vu aux côtés des 35 millions de morts par fait de guerre, le massacre encore plus massif des êtres dans leur propre pays par leur propres gouvernants -160 millions - qu’il s’agisse de l’Allemagne de Hitler, de la Russie de Staline, sans oublier Mao, Pol Pot, le Rwanda, et plus près de nous l’ex-Yougoslavie (Semelin), liste non exhaustive.
4 éditions préfacées par l’auteur - la dernière en 1971- on retient que le texte a été peu modifié au fil du temps en dehors d’un plus grand développement du dernier chapitre sur l’Idéologie: l’analyse et la démonstration du sujet était à l’origine déjà exacte à partir d’une documentation limitée et non contredite par l’ouverture ultérieure d’archives plus abondantes; on s’étonne alors de la myopie qu’elle manifeste dans sa vision optimiste de la Chine Maoïste ,mais nous sommes tous victimes de nos fictions contre le Réel.
L’introduction se teinte d’optimisme qui nous dit que l’Etat Totalitaire - sinon malheureusement les tyrannies et les dictatures militaires beaucoup plus « banales » - meurent avec leur leader.
Le totalitarisme est en effet un système tout à fait spécifique en dépit de ses inflexion locales liées à l’histoire propre du pays, sa culture, sa situation socio-économique, son caractère plus ou moins cruel: il s’agit de transformer l’homme lui même pour le coucher dans le lit de Procuste d’une Idéologie Totalisante.
L’ouvrage est en 4 parties :
- Le creuset sociopolitique et les premiers agrégats sociaux qui catalysent la « prise » du mouvement
- Le démarrage du mouvement totalitaire embrayé par la propagande totalitaire et structuré par l’organisation totalitaire, (la répétition de l’épithète est faite pour insister sur la spécificité du phénomène)
- le totalitarisme au pouvoir avec la spécificité de son Etat, de sa Police Secrète au centre du pouvoir et du Camp de concentration totalitaire tout à fait différent des camps de regroupement ou de prisonniers déjà existant ou ayant existé.
- une réflexion philosophique sur cette nouvelle forme de gouvernement en substance l’instauration d’une Loi inédite et l’apparition d’un principe d’action original: l’idéologie.
I / Une société sans classe.
A/Le creuset :il faut l’émergence d’une Masse c’est-à-dire d’une population d’êtres atomisés superflus, inutiles, née des effets conjugués de l’expansion démographique, des dislocations sociales après 14/18, de la crise de 29, du chômage de masse, d’une société démocratique de partis déconnectés de la base qui n’est plus concernée par la politique bourgeoise qui l’ oublie, à la marge; masse informe d’individus isolés, auto-dépréciés, animée d’un antiparlementarisme vis à vis d’un Etat lointain : plus d’inscription dans les partis, signe de l’effacement des classes face au cynisme bourgeois dont les valeurs sont démonétisées.
En outre existe depuis le XIX° une frange de« lumpenprolétariat », une populace qui partage à basse échelle les appétits et le « chacun pour soi » des bourgeois.
La Masse informe d’êtres dissociés, le « parcellitarisme » de la société quand la quête de l’individualité a abouti à la solitude et l’angoisse de la perte des liens sociaux, la dépression de l’échec est accomplie: la suite du scénario va se jouer.
Cette atomisation est à ce point nécessaire que l’installation du totalitarisme par Staline en URSS après la mort de Lénine va l’amener à détruire toute la structure sociale que ce dernier avait établie afin de pouvoir stabiliser et régulariser un fonctionnement social impossible après la Révolution avec le « grand corps flasque » de la paysannerie russe non politisée.
B/C’est l’alliance de la populace avec l’élite bourgeoise désamourée de soi, contestataire, cynique, tentée par la transgression
La populace rencontre un Leader hystérique, provocant, scandaleux, en situation d’échec et d’ostracisme belliciste, sans pitié, sans nuance, nihiliste qui cristallise ses pulsions,et le bourgeois ( le philistin dit encore H.A.)va suivre, voire précéder parfois la pègre-Dostoïevski l’avais déjà écrit - niant le génie au profit de la matière brute, louant l’anormal, la farce (protocole de Sion)contre l’histoire, le cynisme contre la morale (:tout cela est aussi illustré dans le théâtre de Brecht).
L’alliance est faite : bientôt il faudra effacer tout ce qu’il y a d’ « humain »dans ces comportements :le goût du lucre de la pègre, la passion des protagonistes, la culture des élites, etc.
II /Le mouvement Totalitaire.
A/La propagande : il faut maintenant gagner les Masses.
Les outils en sont multiples : orientée vers l’intérieur mais aussi vers le dehors , elle devient inutile à terme voire indésirable dans les camps où elle sera interdite :on ne dit rien aux « choses ».
Ce sont la terreur (SA), les expéditions brutales de groupes violents en uniforme, la peur du complot et la recherche des ennemis extérieur puis intérieurs, multiples successifs qui soude les individus. C’est la langue formatée, confuse, contradictoire, celle du slogan et de l’oxymore dès la dénomination du parti NAZI(à la fois national et social, ce qui en passant rend caduque tout autre parti puisque totalisant d’emblée tout l’échiquier politique).
C’est supprimer les indemnités de chômage et dire que le chômage a disparu.
C’est la fiction (protocole de Sion) qui servie par une logique scientiste de causalité simplifiée et rassurante permet de tout expliquer simplement à partir d’une idée simple termes ;
Mais plus que la persuasion qui peut être aléatoire, peu convaincante, discutable, il faut organiser la société pour que le visible ou le vécu soit convaincant de façon quotidienne : ainsi on ne discutera plus du racisme ou de l’indignité si son métier et sa carrière voire sa vie dé pendent de la race ou de la classe (mais cela aussi a été écrit dans ‘Chien Jaune ‘et bien sûr ‘Rhinocéros’).
« La propagande n’est pas l’art de répandre une opinion parmi les masses. En fait c’est l’art d’emprunter une opinion aux masses(K.Heiden cité HA)...ou dire tout haut ce qu’ils ruminent tout bas.
B/L’organisation totalitaire.
Elle n’est pas pyramidale comme dans une dictature militaire habituelle,cette structure étant potentiellement fragilisée si l’ordre ne descend pas ou est mal exécuté aux niveaux inférieurs. .
L’anonymat des prises de décision est assuré par une organisation du parti en « bulbe d’oignon » couches alternées d’exécutants depuis les plus modestes jusqu’aux plus impliqués de telle façon que chaque couche montre au dehors son aspect le plus impliqué et au dedans le plus« normal »’véritable« tampons »jusqu’au niveau du chef. S’y ajoute une hiérarchie mobile, fluctuante, où l’ancien est remplacé par le plus jeune plus radical. La permutation des individus est accompagnée d’une duplication des services, doublon de centre décisionnel de sorte que l’on ne sait qui ordonne ni d’où vient parmi plusieurs ordres, le bon.
Elément central du système le mystère qui entoure le chef axe fixe des masses dont il est l’incarnation de la volonté donc irresponsable puisqu’en empathie totale et par voie de conséquence infaillible : »Der führer hat immer recht »et, les bévues sont rejetées sur l’idiotie maladroite ou coupable de l’ exécutant.
Le mystère est enfin un élément du visage qu’offre cette organisation semblable à celui d’une secte mais ouverte :même culte du secret (partagé au dehors par qui ?,dans quelle étendue ?,quand ?),même rite initiatique, rituels, caractère absolu :celui qui n’en est pas est un ennemi, avec ce mélange de crédulité et de cynisme qui goûte les ruses et mensonges du chef à qui l’on voue une loyauté totale qui seule peut expliquer l’absence de réaction des adeptes après le massacre des SA par les SS ou les confessions régulièrement sincères des accusés des procès de Moscou.
« Tout ce que vous êtes, vous l’êtes à travers moi, tout ce que je suis, je le suis à travers vous seul » (Hitler).
Ce n’est pas le gang où les conflits d’intérêt personnels surviennent et se règlent par des exécutions, ce n’est pas la tyrannie où le cynisme accompagne une servitude vigilante, ni une soumission idolâtre à un être transcendant : tous sont impliqués, complices soudés dans un seul organisme agissant.
III /Le totalitarisme au pouvoir.
Son défi c’est la confrontation au Réel qu’il faut dénier :le chef peut et doit pratiquer le mensonge de façon plus cohérente et à une plus grande échelle qu’avant.
Le danger c’est la sclérose la cristallisation du pouvoir dans des institutions fixes qui seront sa perte : il faut instaurer la Révolution Permanente (Trotski) plus facile au début dans un pays clos par des frontières hostiles ou réputées telles :la Révolution dans un seul pays mais transitoire car l’objectif c’est le Monde.
La difficulté sera de maintenir une structure politique de façade stable pour le reste du monde tant que le pays est en « laboratoire »,et le mouvement permanent à l’intérieur.
A/L’état totalitaire.
Paradoxalement les NAZI conservent en l’état la constitution de Weimar et Staline fait rédiger une constitution en 1938 - dont il liquidera d’ailleurs plus tard les rédacteurs pour trahison :le pays est donc apparemment géré selon un mode normal, mais il se crée en fait une multiplication des institutions administratives, judiciaires, policières (morcellement de la SS périodique)redécoupage géographique de l’Allemagne en Graue avec conservation des Länder qu’il ne recouvrent pas de façon identique ;Du côté soviétique c’est essentiellement dans les services de la police secrète que se multiplient les groupes, sous groupes ,bureaux, factions qui s’espionnent mutuellement sans qu’on sache à quel moment l’un domine l’autre et pour quelle durée.
Cela aboutit à un gouvernement informe, à l’abri des coups
.L’absence d’autorité ,de hiérarchie, le mouvement constant fait que c’est plus la » volonté » du chef que ses ordres toujours vagues ou non dits qu’il faut deviner par un 6°sens-, et tant pis pour celui qui n’a pas la Grâce de la bonne intuition.
Hitler bien qu’effectuant ses massacres sur une grande échelle dans les camps, se contente le plus souvent de disgracier et de rendre inopérants les indésirables en les déplaçant ;en revanche les crimes « actifs »de Staline concernent avant tout les gens de son entourage parfois promus officiellement peu avant au statut de successeur.
La gestion du pays lui même obéit à des fictions non- voire antiutilitaires : les lois sur la santé puis sur la race de Hitler ont pour but l’obtention de » 100.000 SS tous semblables comme un seul homme » (Hitler.) et » la plus grande richesse de l’URRS ce sont les cadres du parti » (Staline).Le tissu économique de l’URRS sera dévasté de ce fait . Les NAZI de leur côté vont mobiliser massivement l’argent et les moyens logistiques de transport et d’encadrement pour accélérer l’achèvement de la solution finale alors que le pays est exsangue dans les derniers mois de la guerre.
Et le Concert des Nation ne peut que se tromper devant ces paradoxes et croire que si le pouvoir est fort, l’économie doit être efficace et qu’inversement si l’économie est défaillante, le pouvoir doit en toute logique devient intenable .
B/La police secrète.
Le Pouvoir n’est pas celui du Parti Unique des dictatures :ici il y a écart entre le Parti et l’Etat-facade (« c’est nous qui commandons à l’Etat ).Ce n’est pas celui de l’Armée qui est toujours tenue pour suspecte :les SS « doublent » les généraux de la Wehrmacht comme les commissaires ceux de l’Armée Rouge.
L’unique organe du pouvoir c’est la police secrète qui sert plus à la domination totale qu’à la sécurité. Si elle partage largement la pratique du racket, de la confiscation et du chantage avec la police secrète despotique elle s’en distingue par de nombreux aspects. A la différence de la terrible Okhrana du Tsar, elle ne pratique pas la provocation, elle arrête des ennemis « objectifs », pas des suspects. Composée d’exécutants soumis au Chef et non pas comme une force autonome, elle agit dans l’anticipation du crime et non dans l’investigation; elle ne demande pas : »que penses-tu » mais « avec qui penses-tu ? ».Elle doit prévenir l’imprévisible, poursuivre les crimes possibles imaginés par le Chef ;c’est une police de la masse et non des individus .
La défiance mutuelle totale, les purges périodiques permettent le renouvellement mais aussi la pérennité par la complicité de tous, et surtout l’oubli : la victime n’a pas existé, les témoins ont disparu.
Le criminel isolé efface ses traces : le crime de masse efface le crime : les SS déterrent des monceaux de cadavres et les brûlent, les camarades disparaissent des photos et les livres d’Histoire sont réécrit.
L’efficacité de cette police secrète totalitaire inspire à Hannah Arendt
cette inquiétante réflexion : »Nous avons beau connaître les activités et le rôle spécifique de la police secrète totalitaire, nous ne savons pas dans quelle mesure et jusqu’à quel point le secret de cette société secrète correspond à notre époque, aux désirs secrets et aux secrètes complicités des masses(se débarrasser de sa responsabilité, acquiescer aux « politiques de population » qui consistent à éliminer le surnombre des « superflus »).
C/ La domination totale Elle commence paradoxalement et prend de l’ampleur quand l’opposition politique interne a été résolue.
Dans les tyrannies tout est permis ; dans l’état totalitaire scientifique tout est possible.
Au centre :Le Camp. Le camp de concentration NAZI et sa cruauté active –et cette spécificité reste une grande question diffère grandement du camp stalinien de « dépérissement ».Son principe d’action est similaire : c’est le laboratoire du « tout est possible »pour transformer la nature humaine elle même et réduire l’être à une entité purement réactive, entièrement conditionné.
Et le nombre palie les pertes : Himmler fait une comparaison avec les mouches dont les myriades d’oeufs sont là pour assurer la continuation de l’espèce. L’extermination des Juifs n’est qu’une étape, un »épouillage selon les mots du même Himmler :il s’agit de faire une nouvelle humanité qui implique l’élimination physique de nombreux individus impropres autour et en Allemagne accompagné d’ailleurs de l’immigration de races blondes septentrionales :le programme est scientifique et logique.
Dans le camp le massacre y est industriel, avec exécutants taylorisés, cadences de production, paradoxales baisses de régime volontaires si les arrivées sont moins importante :la similitude avec le château sadien est frappante jusqu’au recyclage des » résidus ».
Le profond isolement du monde extérieur et de ses repères désoriente radicalement, fait douter du Réel, aliène au sens fort les sujets :les rares survivant en sortiront comme Lazare de la tombe, ’en trop’ pour tous et pour lui; c’est une parenthèse psychotique indicible que peu raconteront et qui demandera des décennies pour être dite et entendue .Désarroi des effacés dans le Nacht und Nebel, enfer médiéval enfin réalisé sur terre par l’homme et de surcroît empli de damnés sans Jugement.
La destruction psychique des victimes s’opère en trois étapes :
-destruction de la personne juridique : au début sont mêles dans le camp droit communs, politiques –seulement après qu’ils aient accompli leur peine -et innocents qui deviendront de plus en plus nombreux et seront les seuls à la fin :leur statut reste inférieur aux autres dont le crime lui même répond encore de la persistance d’une identité juridique et qui supportent mieux leur état.
-destruction de la personne morale :pas de témoin possible pour dénoncer le Mal . Le statut mobile Kapo de surcroît temporaire, la complicité organisée rend le Mal banal :tous coupables .On ne peut choisir entre le bien et le mal :on choisit entre le crime et le crime comme la mère grecque de Camus à qui le SS demande de désigner celui de ses fils qu’il doit fusiller.
-destruction de l’individualité ,du Moi :dès l’arrivée au camp, l’expulsion brutale des wagons sous les coups et les chiens, la dénudation et le pyjama, la tonte, la séparation désolidarise des autres et de soi. Il faut rendre l’homme purement réactif.
Après une période initiale« SA » profondément sadique et cruelle, les SS prennent en charge les camps qui vont leur servir de lieu d’entraînement technique et ideologique. L’arbitraire, le mépris, la mort certaine mais perversement différée, l’attente des-espérée de rien, autant que l’intermittence des tortures physiques l’imprévisibilité permanente, entraîne apathie, l’effacement des émotions : le suicide est rare .
La spontanéité de l’homme qui est l’Intolérable pour le régime totalitaire est détruite, c’est à dire la pensée ,qui fait advenir le Nouveau :l’homme est maintenant vraiment superflu et conditionné ,parfaitement et c’est en cela que le Camp réalise l’image parfaite de la société totalitaire :le but est de l’ouvrir et d’y englober la société entière.
Véritable Parenthèse dans l’histoire d’un peuple, dès que l’Etat totalitaire va tomber s’installe un déni et une »amnésie » profonde de cet période Iréelle.
Mais un espoir persiste car Hanna Arendt nous avait déjà dit, et ce n’est pas une profession de foi, qu’irrésistiblement les enfants qui naissent, qui »viennent au Monde », sont radicalement et obstinément du Nouveau.
IV/Idéologie et Terreur : une nouvelle forme de gouvernement.
L’Etat totalitaire est une institution politique nouvelle :les Masses remplacent les Classes, le Parti assume seul le mouvement des masses, la police secrète prime sur l’Armée, le projet c’est la domination du Monde. Ce n’est pas la tyrannie pouvoir arbitraire, régime de la peur réciproque entre le tyran et le peuple :le régime totalitaire est par essence non arbitraire :il obéit à la Loi « d’airain de la Nature pour l’un, de l’Histoire pour l’autre, Loi spécifique dans son type.
Ce n’est pas la Loi positive, celle du consensus juris de Cicéron, qui gère le Bien et le Mal, inspirée par la « lumen naturale »ou Dieu ou la Conscience :cette Loi est en effet peu efficace aléatoire(elle ne peut pas résoudre le cas d’Antigone),elle s’écrit après la survenue de cas d’exception inédits ,pour essayer de stabiliser le Droit mais en vain à terme car elle est marquée par l’impermanence .Contre cet écart qui sépare le droit écrit de la justice en action. Il faut donc inventer une Loi absolue : si tout change, il faut épouser le mouvement pour échapper à la contingence et permettre le règne de la Justice jusqu’ici impossible. L’Histoire est en mouvement, la Nature évolue : Les Lois du Mouvement remplaceront la Loi positive. Engels a pu dire que Marx était le Darwin de l’Histoire :une chose ,un être n’est que le stade ,l’étape d’une évolution ultérieure :prenons le flux en marche, aidons-le, sélectionnons nous même la Race ou l’homo socialis à venir quitte à donner la mort avant l’heure pour accélérer le flux
La Loi positive interdit, la Loi de mouvement agit, elle « stabilise « l’homme pour laisser couler l’histoire. La Loi positive existe sans crime,la Terreur doit exister même sans coupable.Les individus sont innocents :la culpabilité absolue,c’est l’obstacle au Progrès.
Selon Montesquieu ,les principes d’actions d’un régime sont l’honneur(monarchie),la vertu(république)ou la crainte(tyrannie). Il s’agit ici de détruire la faculté de former des opinions en en enserrant les hommes dans un étau absolu, sans espace de liberté entre eux,jusqu’à les rendre aptes à devenir aussi bien victimes que bourreaux..
L’IDÉOLOGIE est une forme de réductionnisme : elle prétend à une philosophie scientifique à partir d’une seule prémisse. Les «-ismes »réductionnistes (positivisme, racisme, vitalisme, etc) prolifèrent depuis le XIX°, chacun prétendant expliquer la totalité du Réel.
L’idéologie n’est pas un discours (‘logoï’) mais une logique servant une idée (Dieu, Histoire , et depuis les années 70 du XX°, Economie)pour expliquer le cours du Monde :tout ce qui arrive est conforme à cette logique à posteriori :les prophéties ne sont pas tant des menaces que la formulation de l’inéluctable.
Toutes les idéologies contiennent un élément totalitaire :3 éléments sont spécifiques de l’Idéologie Totalitaire d’Etat
- elle n’explique pas ce qui est mais ce qui devient, elle est profondément historiciste qui contrôle le Présent, le Futur et le Passé qu’elle réécrit. Elle ne tient pas compte de la réalité ne se fiant qu’à son » 6° sens » (:si beaucoup de soldats de l’Armée Rouge sont envoyés au Goulag après avoir vu à la fin de la Guerre ce qu’il ;en était des pays occidentaux, c’est inutile pour les Cadres, Commissaires aux armées ,formés aux écoles du Parti : ils ont un mépris total de la vie non soviétique).
- l’arme pour luter contre le Réel : la Cohérence :identité de l’épithète et du prédicat, la séquence cause/ résultat doit se lit dans les deux sens, les termes sont équivalents. Ainsi quand Staline dit que les Koulak sont une classe moribonde tous comprennent qu’elle est vouée à disparaître, comme les ‘inaptes à vivre’ dans les discours d’Hitler. Le châtiment est confondu avec le crime Si tout le monde est d’accord pour la lutte des classes et tout le monde l’est puisque c’est une vérité scientifique-le Parti a raison,-pour paraphraser Trotski. Si le Metro de Moscou est le seul au monde cela implique de détruire par la pensée ou tout autre moyen celui de Paris et les autres pour que ça soit Vrai.
De fait c’est finalement sans état d’âme que l’on punit le Crime et non le criminel l’homme qui tue est innocent et profondément sincère le plus souvent celui qui se confesse lors des procès.
La puissance du délire l’idéologique, la fiction du grand corps solidaire autorise Goebbels à promettre comme un cadeau au peuple une mort douce par gazage prévue en cas de défaite ». Et tout est accompli ».
La liberté c’est la capacité de commencer, de faire du nouveau.
Hanna Arendt rappelle la phrase de St Augustin dans son texte sur l’Eternité -apanage exclusif de Dieu -que- l’homme fut créé pour qu’il y eût un commencement.
L’être isolé, impuissant, souffrant garde une vie privée, un socle ,des portes intérieures. L’Etat totalitaire expérimente dans les camps la fabrique d’un homme seul, impuissant, souffrant mais surtout désolé, abandonné par son propre Moi. Il est déraciné,superflu,conditionné aux réactions les plus élémentaire.
L’Auteur sans vouloir faire oeuvre de prophète finit par une mise en garde face à l’existence et la constante montée en nombre, dans nos pays, dès après la Guerre d’une nouvelle masse d’individus dé-solés, superflus économiquement, indésirables y compris pour eux mêmes : »les solutions totalitaires peuvent survivre à la chute des régimes totalitaires ».
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Hannah Arendt démontre la généalogie socio-historique du phénomène avant et en contradiction avec Furet qui voit dans le communisme une illusion et Baechler dans ces mouvements une parenthèse de l’Histoire ,et nous prescrit de surveiller les facteurs de risque.
Tout n’est pas dit, bien entendu :
°L’effet de loupe de l’Etat Totalitaire sur les comportements individuels ne fait qu’accentuer la banale et énigmatique Servitude de La Boëtie : qui ne nous en avait par ailleurs pas donné la « clé ».
La terreur explique l’apathie mais pas seulement et l’on a depuis démontré dans des expériences de groupe de gens « normaux »le suivisme ou la part active qu’expriment 80% des testés quand on leur demande de participer à des situations de torture d’un témoin (Généreux)
.Quant à l’adhésion de tous à ce Mouvement pathologique naissant, Alain Caillé pointe sur l’existence dans la masse atomisée des individus « superflus »d’une impérieuse « Passion Totalitaire » que la Propagande initie et entretient en promettant la réalisation immédiate et onirique de tout et son contraire et singulièrement la fusion d’une Société de type Primaire celle des origines ,des échanges et du Don, et d’une Société Seconde de la Loi et de l’avenir :modernité + tradition, Puissance + Soumission, Révolution + Conservation.
°Pourquoi cette cruauté carnassière chez les NAZI et le « simple » pourrissement inertiel des victimes de masse chez Staline qui semble d’ailleurs mieux remplir le programme politique totalitaire ?
°A-t-il suffit à Nuremberg de stigmatiser, diaboliser et exécuter de grands criminels de guerre et de l’humain, quitte à ressortir de temps en temps des épouvantails susceptibles de dédouaner des actions ou leurs complices ?les Crises de Société sont dans leur moteur un dénouage des pulsions aux fictions :surgissement des forces organiques sans visage dans l Allemagne NAZI, consommation addictive et pornographie dans les Sociétés ultralibérales (D.R.Dufour).
°Avons nous évacué les plaies du totalitarisme ?
Alain Caillé rappelle en 2009 ce qui s’est passé, en substance :
3 renversements et 5 continuités
: renversements
effacé le Grand Savoir du chef ::maintenant le politique ne sait pas :il,y a des experts pour ça
changé le rapport au Temps (plus de futur,tout dans le présent)et à l’Espace (ouverture et disparition des frontières,village planétaire)
bouleversé l’espace social :« plein » organisé, l’hypersociété a fait place au «parcellitarisme », à la « dissociété » d’individualités séparées
continuités
Le mouvement, l’impermanence , le bougisme, les hiérarchies fluctuantes
La dénégation du Pouvoir remplacé par la « gouvernance », réseau de décision acéphale, rhizome organique
Une société prométhéenne : homme nouveau biologique,cloné,amélioré génétiquement modifié
Un monde fictionnel irréel : télé réalité, »second life », sexualité en ligne, »vis ma vie »
Permanence d’un ennemi, terroriste, asocial, casseur, « jeune » à l’intérieur des cités « sensibles »et autour d’elles
On pourrait y ajouter l’appauvrissement piloté de la pensée, le langage formaté, l’oxymore des discours, la promesse que le tout et son contraire en même temps sont possible simultanément: révolution et tradition, rupture et continuité, morale et pornographie,
banalité du mal chez les témoins des dégâts sociaux mortifères....
...et la nouvelle idéologie qui fait dire à Mr.Stigler prix Nobel d’économie : »quand les Faits sont en contraction avec la Théorie, c’est la Théorie qui a raison ».
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