"Gens de Dublin" de James JOYCE le 20 novembre 2005


"Ennui,manque d'intérêt, déception" ont été les premières réactions. Thèmes de l'insatisfaction, de la grisaille de vies sans éclat, sans "épiphanies", qui nous tendent un miroir, dans lesquelles nous ne voulons pas nous reconnaître. En effet, ironise Claude Simonot, l'existence de ces "gens" est si morne à côté de la nôtre qui est, pour chacun d'entre nous, si originale, si riche, si pleine d'imprévus à chaque instant....(sourires gênés).

Nous avons eu la chance d'avoir parmi nous une auditrice de langue anglaise qui se récria, elle aussi, contre ces critiques négatives. Elle sut nous donner quelques précisions concernant les différentes positions des églises anglicanes et mit l'accent sur l'exceptionnelle qualité du langage inventif de Joyce, en quête du mot juste, citant quelques uns de ses disciples dont Virginia Woolf.

Il est vrai que pour ceux qui ne la lisent qu'en traduction, cette langue est difficile à évaluer. Sont ,en effet, apparus en filigrane quelques problèmes face à différentes traductions; comme par exemple les titres: pour le recueil, Gens de Dublin? ou Les Dublinois? ; pour l'une des nouvelles, Contre-partie? ou Correspondances?

Cette nouvelle dont la fin brutale nous a été lue d'une voix si émue que nous avons vu se dresser la canne du père contre le visage suppliant de l'enfant...Quelques mains applaudirent. Une voix derrière moi murmura: "il faudra que je le relise, ce livre".

Quelqu'un fit remarquer que ces Dublinois, c'est à dire ceux qui n'envisagèrent aucune fuite hors du labyrinthe de leur médiocrité, ont tout de même eu des descendants capables d'un telle ténacité qu'ils ont obtenu leur indépendance et qu'ils peuvent se féliciter, selon de récentes évaluations, d'un PIB par habitant supérieur à celui des anglais. Ils pourraient en être fiers.

N.B. Nous avons une antenne parisienne: Thérèse Dufresne, poète elle-même et traductrice de poètes grecs, qui participe activement à un "Café poétique". Celui-ci se tient en après-midi, les derniers mercredis du mois, au bar "Le François Coppée" à Paris.

Elle s'intéresse de près à notre "DIRELIRE" et, ne pouvant être présente cette fois, elle a accompli un travail qu'elle m'a envoyé. Ce sont quelques pages glanées dans un essai Le Grec de James Joyce écrit par Mando Aravantinou, traductrice en grec de Gens de Dublin; cet essai publié en 1977 montre à quel point chacun des livres de Joyce constitue une "écriture de (son) image" ou une "écriture de (lui) -même". Toute son oeuvre porte le sceau de ses expériences familiales , religieuses, de ses refus, de ses passions ainsi que de ses voyages notamment son départ de Dublin vers Londres, Paris, Trieste, Pola ( ce port mythique où se sont enfuis Jason et Médée). Ce sont ces exils qui donneront naissance à Ulysse... Nous remercions Thérèse Dufresne de sa participation."

Andrée HAGÈGE

Une contribution de Michel BOUDIN : "Gens de Dublin" ou l'épiphanisation du réel.

Grande perplexité ce jour-là à DIRELIRE. Comment, en effet, rendre compte de ce recueil de nouvelles insolites et déconcertantes qu'est cet ouvrage de James Joyce "Gens de Dublin"? En dépit de quelques "coups de coeur" chaleureument mis en évidence par quelques-uns, ce fut la déception qui sembla l'emporter: on s'en prit au contexte inutilement réaliste, à l'abondance de faits insignifiants, à une enfilade de phrases ordinaires sans intérêt, bref le contraire d'une histoire bien construite qui suit les règles d'une narration traditionnelle.

A plusieurs reprises, pourtant, la clef permettant d'avancer dans la compréhension de l'oeuvre fut évoquée. Il s'agit de l'épiphanie. Chacun a pu faire cette expérience de l'apparition soudaine d'une certaine perfection de la forme à l'occasion d'un fait insignifiant: une main, un visage, une colline éclairée, ou même une passion, une vision, une excitation intellectuelle. Pendant un instant le monde acquiert une valeur, une réalité, une raison d'être.

Or il se trouve que pour Joyce ce moment d'extase n'est plus seulement émotif mais une étape dans la construction de l'oeuvre d'art, non pas tant une façon d'éprouver la vie qu'une façon de lui donner forme. C'est ainsi, nous dit Umberto ECO, "que chacune des nouvelles de Gens de Dublin apparaît finalement comme une grande épiphanie, ou en tout cas comme une organisation des événements telle qu'ils tendent à se résoudre en expérience épiphanique." A chacun donc d'utiliser la clef pour tenter de comprendre comment les nouvelles de Gens de Dublin apparaissent comme les symboles d'une situation déterminée et comment elles dénoncent le vide et l'inutilité de l'existence. Bonne relecture et ...bon courage."

Michel BOUDIN

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