"Contagion" de Brian EVENSON le 15 novembre 2005


Ce fut une séance exceptionnelle que celle consacrée, en sa présence, à Brian EVENSON et à son premier ouvrage traduit en français : « Contagion ».

Avant d'en venir à l'écrivain , c'est l'homme, toujours attentif , tranquille, cultivé et disponible aux multiples questions qui lui ont été posées sur son oeuvre et son écriture qui a impressionné.

S'exprimant dans un français excellent et riche, il a confirmé la maîtrise de notre langue qu'impliquaient les difficiles traductions qu'il a réalisées.

Nous avons tout d'abord abordé quelques éléments de sa biographie : son origine mormone et la rupture brutale et violente que lui imposèrent les chefs de la communauté lorsque, sommé de cesser d'écrire des textes tels que ceux qu'il venait de publier (« Altmann's Tongue »), il n'accepta pas de se plier à leurs injonctions. Ils le rejetèrent , le firent renvoyer de son emploi à la Brigham Youth University, et la crise entraîna son divorce ( sa femme d'alors appartenant à la communauté mormone) et la séparation d'avec ses enfants.

Brian EVENSON est de ces écrivains qui ont payé le prix fort pour pouvoir écrire et pour lesquels l'enjeu personnel était tel qu'ils ont accepté de payer.

Mais dans sa biographie, découvrir la personnalité du père de Brian EVENSON a été, pour tous les lecteurs de « Contagion », une surprise. En effet plusieurs nouvelles révèlent des relations père-fils d'une lourdeur voire d'une violence inquiétante; nous étions persuadés de leur caractère autobiographique. Il n'en était rien. C'est le poids des institutions mormones et de ceux qui la représentent qu'exprime l'auteur. Son père, au contraire, mormon lui-même, était un homme d'ouverture. Alors que les leaders de l'Eglise Mormone sont aujourd'hui très satisfaits de la vision et de la politique du Président Bush et se sentent représentés par le camp républicain le plus conservateur, le père de Brian EVENSON était un responsable démocrate de l'Utah. Son ouverture d'esprit s'exprima aussi sur le plan culturel: il lui offrit notamment des romans de Kafka qui marquèrent le jeune adolescent et, sans doute, l'autorisèrent à penser autrement.

Ainsi, lorsque vers ses 20 ans, il vint pour la première fois à MARSEILLE comme missionnaire mormon il était prêt à voir un autre monde avec des yeux bien ouverts. D'autant que Brian EVENSON avait déjà commencé à écrire. Sa première nouvelle a été écrite à 18 ans, il s'agissait de la version initiale de « Le fils Watson » ( une des huit nouvelles de « Contagion »).

Déjà nous sommes dans l'œuvre et l'auteur évoqua rapidement , outre Kafka, quelques écrivains qui ont compté pour lui et lui ont donné l'envie d'écrire , notamment, Artaud (choc de jeunesse aussi et dont il s'est senti très proche) et Beckett ( accédant aux « versions originales » de l' oeuvre anglophone et de l'œuvre francophone) . Pour la nouvelle qui donne son titre au recueil , il a aussi évoqué « L'aveuglement » de Saramago et « La peste » de Camus. Les conversations que nous avons eues ont montré sa très grande connaissance de la littérature européenne .

Les lecteurs de DIRELIRE ont dit ce qui les avait frappés alors dans les nouvelles de Brian EVENSON : la force des images, des lieux, des situations dans lesquelles se meuvent les personnages et le caractère révélateur et universel des histoires dans lesquelles ils se perdent et qui ne peuvent relever que de tensions personnelles essentielles que l'auteur cherche à partager. Par ailleurs ils ont mis en valeur l'écriture « au scalpel » telle qu‘ elle ressort de la traduction française. Autant de réactions très positives partagées dès le début de la séance.

Les interventions de Brian EVENSON ont permis de mieux entrer dans son oeuvre . Il a tout d'abord insisté sur le fait que ni dans ses nouvelles une fois achevées, ni dans ce qui en motivait l'écriture, il n'y avait une quelconque volonté de « démonstration » morale, sociale ou politique. Il n'y a pas de scénario préétabli devant conduire à une conclusion imposée. C'est une phrase, une image mentale, une atmosphère qui créent son envie, son besoin de se lancer dans un nouveau texte . De là, part le déroulement d'une histoire qui va devenir, pour l'auteur, l'élément le plus important de son travail . Nous avons longuement évoqué presque chacune des nouvelles. Voici quelques échos de notre discussion et des citations qui sont naturellement venues ponctuer le débat :

-« La polygamie du langage » , son titre (rencontre du monde mormon et de celui de la littérature) , la recherche impossible et destructrice par le narrateur pour « comprendre le problème de tout langage possible ». « Comprenez que ce n'est pas moi qui fais ceci mais le langage lui-même qui agit ainsi » dit-il pour expliquer ses errements .

-« Contagion » , dont le point de départ pour l'auteur est un détournement d'images de western (comme une autre des nouvelles, « Une pendaison ») a fasciné plus d'un(e) d'entre nous. Ces fils de fer barbelés emblématiques de la conquête de l'Ouest américain rappellent obstinément ceux des camps. Ces deux « missionnés », (chargés de vérifier les clôtures “jusqu'à l'extrême limite du territoire”) dont l'un devient un « écrivant » quelles que soient les situations rencontrées et leurs difficultés (« Le papier est un espace affranchi de toute contrainte, lui suggérait Glidden. Les mots doivent y remplacer la clôture »). Que séparent ces fils de fer barbelés ? Les piquets et les barbelés sont comme des stylos et des lignes d'écriture sur le ciel. « Il existe le barbelé physique et le barbelé spirituel, dit Glidden. Le corps sait comment guérir du premier mais on doit l'aider si l'on veut qu'il admette l'autre. Nous devons combattre le barbelé par le barbelé. »

-« Le fils Watson » : a profondément touché beaucoup de lecteurs. Le poids à peine supportable des clés qu'il « doit » porter. Cette mission incompréhensible, complexe, éreintante, folle. Confiée par le père ? « Il y a beaucoup de choses que le père n'a jamais dites. Ce que son père a dit , en revanche, c'est :« Es-tu sûr que ramasser les clés est le bon choix ? » Brey n'est pas sûr. .Ce labyrinthe de couloirs et de portes, et cette première rencontre avec un rat , forme douce qui se comporte comme un petit animal domestique mais que Brey va brutalement étrangler parce que les rats - lui a-t-on répété depuis son plus jeune âge - sont les ennemis les plus dangereux. On ne peut rien reprocher à son père. On peut tout mettre sur le compte des rats .Vraiment ? Peut-être que son père et les rats conspirent ensemble contre lui, et que la haine de son père pour les rats cache la haine du père pour le fils. »

Il faudrait rapporter la discussion sur « Interne » et l'enfermement psychiatrique, du rapport des frères dans « Deux frères » et dans « En deux » (mais y a-t-il deux frères dans cette nouvelle ?). Nous nous en tiendrons à ces exemples et n'évoquerons que pour mémoire la dureté de beaucoup de passages du livre où le sang, les couteaux coupant les tendons ou crissant sur les os, les cervelles éclatées…créent chez le lecteur un malaise qu'a éprouvé , nous a-t-il dit, Brian EVENSON à l'écriture. Ce ne sont pas des effets recherchés. Ca vient nécessairement. Et ça marque. Après avoir dit cela nous avons aussi évoqué l'humour inhérent au style de Brian EVENSON. dans ces huit nouvelles . Ce n'est pas un livre désespéré.

Il a aussi été question du travail d'écriture, des mots, en regrettant de n'avoir accédé qu'à la traduction du livre . Brian EVENSON nous a rassurés en nous disant, lui qui maîtrise bien les deux langues, que la traduction était excellente non seulement dans le choix des mots mais aussi dans les rythmes qu'il a donné à ses phrases.

Pour les participants à notre séance, unanimes, c'est un livre dont personne n'oubliera les images et les impressions qu'il fait naître.

Pour DIRELIRE, Brian EVENSON est un écrivain à suivre et dont nous reparlerons. Nous attendons avec impatience la sortie, prévue en 2006, de la traduction de son prochain livre , au Cherche Midi , avant , semble-t-il, sa publication aux Etats Unis d'Amérique.

Jean COURDOUAN.

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