Après l'autobiographie et l'autofiction, l'auto flagellation avec un zeste d'autosatisfaction sur fond d'autodestruction: entre deux barrettes de Lexomil un auteur se penche sur son nombril, tombe dedans et y trouve les marionnettes qui tirent nos ficelles. Son histoire est celle de ses démêlés avec la volaille qui fait l'opinion via les télécrans de Big Brother, d'une part, et la survie quotidienne de l'écrivain en milieu hostile d'autre part.
Entendons-nous bien, j'ai beaucoup de respect pour les gens qui persistent à écrire et qui ont le courage de publier. Mais je suis aussi un acheteur de livres qui dans un système fondé sur la liberté dictatoriale du marché tempérée par la reconnaissance des droits de l'homme consommateur, peut trouver que l'édition a tendance à s'aligner sur la logique de la production pauvre et de la consommation contrainte. Certes il y a encore des Bergounioux, mais enfin ils font un peu figure de vestige préspectaculaire. Cinq heures pour deux pages, c'est beaucoup pour une époque où tout est fait à la va-vite (time is money), qu'il s'agisse de la promotion immobilière (six taudis, sitôt faits) ou de la littérature de gare (vite écrite, vite lue, effet TGV garanti).
Ceci étant méchamment dit, en quoi l'histoire de Christine Angot peut-elle nous toucher? Parce qu'elle est ausi la nôtre même si nous le cachons, par mauvase foi, par fausse conscience ou par commodité. Cela peut-il faire la matière d'un roman? Pourquoi pas... et si la plupart d'entre nous l'ont trouvé mauvais, c'est peut-être parce qu'il s'agit d'un roman de notre temps, qui est un bien sale temps, un vrai temps de chien pour tout dire. Quand Rolin nous raconte, avec cette forme supérieure d'humour qui est l'autodérision, ses aventures de pied nickelé maoïste, c'est agréable, parce qu'il nous parle d'un temps où c'était vraiment le moment d'avoir vingt ans. Christine Angot, elle, nous parle du temps de misère dans lequel nous avons le nez et nous dit qu'elle en est fatiguée, crevée, épuisée et que sa place n'est nulle part...
L'écriture est un regard que l'auteur porte sur le monde, la lecture est un regard que le lecteur porte plus sur l'auteur que sur l'oeuvre, parce qu'aujourd'hui l'intérêt s'est déplacé de l'objet créé au sujet créant. On sait, depuis Sartre, que le regard de l'autre a le pouvoir de nous transformer en chose. Par un processus analogue, la lecture de l'autre pourrait-elle faire tomber l'écriture dans l'en-soi? Pas si l'auteur regarde le lecteur dans les yeux. Alors, Christine, que çà soit sur la photo de couverture (très belle d'ailleurs), ou dans ton texte, pourquoi est-ce que tu ne me regardes pas?
Claude SIMONOT
Le roman de Christine ANGOT nous fait partager les difficultés d'une femme au passé écrasant, au présent fait de solitude et d'angoisse. Epuisée, à la recherche d'un nouveau souffle pour écrire, de relations humaines apaisées, elle rencontre celui qui pourrait bien être l'homme qu'elle cherche depuis toujours.
C'est sans doute lui puisqu'il semble qu'il la cherchait, elle, depuis toujours. Pendant 220 pages elle va nous dire sa vie, ses pensées, ses sentiments dans cette tourmente.
Ce résumé pourrait nous rapprocher du “roman de gare” dénoncé par quelques un(e)s lors de notre séance.
Mais en entrant un peu dans le contenu nous verrons qu'il n'en est rien.
Outre les deux personnages engagés dans leur amour-haine, il y a le Père et l'Ecriture...
Le livre est très construit . Actualité du personnage et souvenirs, réflexions et lectures , viennent donner toute leur force à la fatigue exprimée, l'approche de la folie ou, au moins du “pétage de plomb”, aux conflits entre les êtres, à la difficulté d'écrire, à la présence envahissante (submergeante?) du père.
Les deux personnages qui se rencontrent (Christine et Pierre-Louis) ont à la fois l'espoir de trouver l'Etre avec qui partager une histoired'amour et de grandes difficultés à vivre avec d'autres (lui a vécu seul depuis sa naissance, elle va d'échec relationnel en échec) . Le couple part avec des handicaps visibles, les affrontements arrivent vite et, pour des broutilles, conduisent à des tensions paroxystiques. De plus l'une est écrivain, l'autre journaliste et Christine ANGOT a souvent parlé et écrit sur les attitudes incompatibles qu'induisent ces deux professions.
Un autre personnage sourd à travers tout le livre, c'est l'Ecriture. Elle va tenailler l'écrivain : échecs répétés à trouver la matière, l'angle d'attaque d'un nouveau livre, panne d'écriture qui dure, dure, tentation d'arrêter d'écrire pour que mûrisse la “bonne violence” (comme le lui a suggéré POL) . L'écriture apparaît clairement comme une drogue. Elle participe à l'affrontement entre l'écrivain et son compagnon et rappelle que l'amour, le vrai, c'est entre l'écrivain et l'écriture que ça se passe(“Tout semblait aller bien. J'avais envie qu'il n'arrive plus rien, j'en avais marre, il arrivait toujours quelque chose, et alors il fallait que je l'écrive, j'étais piégée.”
“Tout allait bien, sauf l'écriture, dès que je me levais j'allumais l'ordinateur, quand j'arrêtais j'avais envie de tout envoyer balader, j'en avais marre de faire le commerce de tout ce qui m'arrivait, j'avais envie d'effacer tout ce que je venais d'écrire et de disparaître à jamais, je commençais à trouver ce système impitoyable. mais ce besoin d'écrire était vital, physique. Je n'avais pas le choix”
“...mais il fallait que j'écrive.J'ai toujours été dirigée par la nécessité de continuer, l'instinct, ça passait par la peur de ne pas pouvoir continuer d'écrire, qui est mon besoin numéro un, vital, physique, et j'avais fini par haïr l'écriture à un point , qui pouvait être un point de non-retour. Je ne pourrais plus écrire et je ne pourrais plus vivre. Je n'avais aucune idée de l'état dans lequel je serais si ça arrivait.En septembre ma peur venait de là.” Mais, lorsqu‘elle trouve une piste pour son nouveau roman et se remet, enfin, sérieusement à écrire après un an et demi d'errance le cycle infernal de l'écriture l'étouffe ( “Ca faisait une quinzaine de jours que j'étouffais et que je ne savais pas comment sortir du piège, j'écrivais, c'était sans fin, c'était insupportable. Ca serait sans fin cette histoire. Quand j'arrêtais, je me relevais de mon bureau, angoissée, en me disant : mais ça ne finira donc jamais?”).
Il y a aussi, lourd de présence, le Père . Le titre est issu d'une lettre du Père mais la quatrième de couverture comporte une citation de trois lignes signée “Pierre Angot”: Christine Angot sur la première de couverture, Pierre Angot sur la quatrième! Dans le roman il apparaît d'abord comme le père aimant, attentif, prévenant d'une charmante petite fille. Les 7 lettres “retrouvées” sont idylliques ( le mot n'est peut-être pas bien choisi ou peut-être si ). ”Angot amoureuse donc libérée du père?” s'interroge Josyane Savigneau dans Le Monde (30/8/2002). Sans doute pas: 50 pages plus loin, parlant du suicide par défénestration de sa grand mère paternelle, elle écrit : “Mon père n'était pas là ce jour-là, il n'a rien vu et il a tout fait pour que je me jette un jour par une fenêtre, quand il m'a connue, moi qui avait les mêmes yeux qu'elle”. Lorsque, retrouvant des sentiments amoureux forts pour PLR, elle lui adresse une longue lettre pour lui dire cet amour elle consacre plus d'un tiers du texte à discourir sur les prénoms. Pierre, Pierre-Louis... “Quand je dis Pierre chéri, alors ça tu peux être sûr que c'est toi. J'ai toujours rêvé de rencontrer quelqu'un qui s'appelait Pierre, c'est inespéré.” Enfin , le dernier paragraphe du livre est consacré à évoquer la gare de Nancy où , en 1985 “ j'avais donné rendez-vous à mon père” . “...je me revoyais en train de sortir de la gare et de revoir mon père après plusieurs années, c'était bizarre de revoir cettte gare vingt ans après, avec tout le temps qui a passé depuis, et que rien n'est changé. C'est ça surtout”.
Et puis il y a elle, le personnage-écrivain-Angot, tendue par les échéances de promotion d'un de ses livres, par une lecture publique, épuisée par sa vie et qui ne trouvera dans tout le livre que deux brefs moments de repos : d'abord au théâtre de la Colline pendant et après la lecture publique et, après une “explication” avec son compagnon, un apaisement de peu de jours à propos desquels elle parle de bonheur et d'amour. Mais ces deux brefs moments sont précédés et suivis d'autres d'une violente agressivité.
Le personnage a presque toujours pour les autres des mots durs (les tocards, les fous, les malades...) , elle les accuse, ils ont tous les torts.Elle attire ces “malades”? Ses intimes ont-ils eu à plusieurs reprises envie de la tuer à cause des cruautés qu'elle leur débitait? Elle ne se remet pas en cause.
L'auteur Christine ANGOT dit les choses de telle sorte que le lecteur s'interroge et elle-même semble prendre ses distances avec son personnage lorsqu'elle le fait réagir violemment aux reproches de PLR , les trouvant inacceptables venant de quelqu'un supposé l'aimer. Sauf que ces reproches et les mots pour les faire, sont les mêmes que ceux employés par le personnage C.A quelques dizaines de pages avant.
Alors, “Roman de gare” “Bluette” comme cela a pu être dit pendant notre séance?
L'autofiction. Marie Darrieusecq a fort bien abordé le sujet dans Le Monde(24/1/1997):”L'autofiction, en minant le pacte autobiographique, n'empèche qu'une chose, mais fondamentale, comparer le vrai et le faux, critère nauséabond en littérature, et entrave “lagardetmichardienne” à la lecture.
Insolemment libre, formellement illégale, elle déroute le vraisemblable et réaffirme ce scandale: la réalité dépasse toujours la fiction. C'est là un des maitres mots, paradoxal, de la littérature; l'autofiction le renouvelle radicalement.
Alors toutes les vies s'autorisent. Il y a trente ans, l'auteur est mort. Aujourd'hui il se permet de ressusciter, tel quel et vrai de vrai, mais “sous la forme qu'il veut”.
ChristineANGOT dit, dans un entretien sur France Culture de Septembre 2004: “Je ne vais pas chercher très loin les choses dont je me sers pour écrire...Je ne vais pas chercher des sentiments que je ne connais pas” .“ Dans mes livres il n'y a que ce qu'on sait mais qu'on est obligé de voir alors que dans la vie on essaie de ne pas voir”. Dans un autre entretien (Septembre 2005), avec Laure ADLER:” La littérature permet de communiquer qu'on n'est pas fou et de dire aux autres qu'ils ne le sont pas”. “Ce que vous avez à l'intérieur c'est partageable. Il n'y a pas de solitude. Vous n'êtes pas seul, je suis là. Je ne suis pas seule , vous êtes là”.
Alors “nombrilisme”?
Le style. “C'est Céline qui a redonné l'émotion au langage écrit,je crois que c'était son expression. Il a redonnél'émotion au langage écrit en insufflant la vie, c'est à direle parlé dedans, c'est à dire le souffle de la vie , et bien sûr c'est un travail énorme, c'est un travail qu'il faut faire, au risque d'écrire comme au dix-septième siècle, quel intérêt? On veut nous faire croire qu'on ne peut plus écrire comme on parle. Autant nous faire croire que la littérature c'est fini” Christine ANGOT (EPOK avril 2002).
Pour lire la phrase de Christine ANGOT, pour ressentir son style il faut l'avoir entendue lire l'un de ses textes au moins une fois et respecter, pour le plaisir de la lire, la façon physique dont elle donne son rythme à la phrase.
Elle viendra aux Salins , à Martigues, début 2006, dans le spectacle qu'elle a conçu avec Mathilde MONNIER “La parole du singe”.
Beaucoup d'entre nous ont trouvé particulièrement riche et passionné notre débat alimenté par les interventions d'au moins vingt participants. Il était prévisible que le livre et son auteur ne laisseraient pas indifférents: ce fut le cas.
Le texte ci-dessus reprend une partie de ce qui a été dit en réponse à celles et ceux qui avaient tout d'abord parlé de “roman de gare” et d'”oeuvre nombrilesque”, et il reprend , sur l'autofiction et le style deux des questions que nous nous sommes posées.
Jean COURDOUAN.
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