A LA LUMIERE D’HIVER (Poésie/Gallimard) de Philippe JACCOTTET
      15 Avril 2012 Monique Bécour
Danielle Grégoire nous présente André Ughetto, professeur, qui  lui a fait découvrir Philippe Jaccottet.
L’amitié d’ André Ughetto et de Philippe Jaccottet, tous deux cinéphiles, s’est nouée à la suite d’une projection cinéclub de films au Ciné-club de Valréas, ville voisine de Grignan où habitent les Jaccottet.
André Ughetto, appartenant au conseil de rédaction de  La Revue Sud », y a mis en oeuvre deux numéros consacrés au poète. La même équipe est à l’origine de l’actuelle revue « Phénix ». Ughetto garde le contact avec cet auteur et a même réalisé une « lecture-spectacle » avec quatre récitants, un montage avec pauses musicales « La promenade sur les chemins de Philippe Jaccottet »(en 2010) C’est donc un profond et ancien « compagnonnage littéraire » car il le connaît depuis 1973. André Ughetto parle aussi de ses profondes rencontres émotionnelles avec l’auteur, des rapports entre Jaccottet et la peinture car il a beaucoup d’amis peintres et Anne-Marie Haesler son épouse est un peintre de talent. Elle exprime, dit-il, en peu de traits et peu de couleurs des émotions analogues à celles que Ph. Jaccottet fait ressentir dans ses poèmes, peut-on penser à un certain« hermétisme contemporain » ? Une auditrice, Simone V., peintre qui expose, également, fait le même parallèle «  Il est très intéressant de voir les essais, les brouillons »  et André Ughetto, confirme cette opinion qu’il qualifie de « Work in progress ».
Philippe Jaccottet est né en Suisse à Moudon, près de Lausanne, dans le canton de Vaud en 1925.
De père vétérinaire, son enfance,- culture protestante, - se déroule sous l’influence d’une tante fantasque, passionnée de Wagner, imprégnée des  « Nibelungen » l’enfant est très sensible à certains aspects de « la Mittle Europa ». En 1933, la famille s’installe à Lausanne où Philippe Jaccottet poursuit des études classiques latin-grec : donc abondance d’images mais dans ses métaphores il reste dans la discrétion ; son professeur de grec ancien est André Bonnard qui l’influence beaucoup. Il découvre Rainer Maria Rilke, Claudel et Baudelaire, qui le conduisent vers la poésie moderne mais non surréaliste. Il commence par écrire de la poésie classique et rencontre Gustave Roud, d’origine suisse, (poésie en prose), maître à penser, qui va l’imprégner de son influence profonde mélancolique, sa métaphysique marquée par le sens de la vie qui se dérobe. Il publiera sa correspondance avec lui qui s’étend de 1942 à 1976. Il est ami de Francis Ponge, et leurs recherches poétiques quoique éloignées sont parfois parallèles ( le côté pongien, d’attention à l’objet). Il poursuit des entretiens avec André Dhôtel « Le pays où l’on n’arrive jamais », Je précise féerie insidieuse aux confins de l’Ardenne et de la Champagne pouilleuse et de l’imaginaire, liée à la pensée surréaliste.
Ami aussi de Henri Thomas qui aura une influence dans l’écriture de « L’Effraie » (groupe de la Revue 84).

André UGHETTO précise que Jaccottet est un grand traducteur de grec : « Le Banquet « «   Platon », « l’ Odyssée » d’Homère, mais aussi traducteur de langue allemande : Goethe, Holderlin, Thomas Mann, (la Mort à Venise, sa première traduction), Musil « ( L’homme sans qualités », d’italien : Guiseppe Ungaretti avec lequel il entretient également une longue correspondance (1946-1970), Léopardi. Son travail de traducteur et de critique tient une place plus importante que sa production poétique, semble-t-il. Il a une certaine méfiance des images : « l’image cadre le réel, distrait le regard, il recherche la parole juste, l’émotion la plus haute »
Durant de nombreuses années, Ph.Jaccottet a collaboré à « La Nouvelle Revue Française » qu’il ouvre à la littérature allemande, tout en publiant des textes dans « La Nouvelle revue de Lausanne » et dans «La Nouvelle gazette de Lausanne » entre 1950 et 1970.
Les années 1970 sont très douloureuses pour le poète, marquées par les décès de ses parents et de Gustave Roud, évoqués dans « Leçons » et « Chants d’en bas », (1977) dans « A la lumière d’hiver » :
« Une stupeur, Déjà ce n’est plus lui,
commençait dans ses yeux : que cela fût Souffle arraché, méconnaissable
possible. Une tristesse aussi ….Qu’on emporte celà
vaste comme ce qui venait sur lui, …Ah, qu’on nettoie ce lieu
qui brisait les barrières de sa vie,
vertes, pleines d’oiseaux (Leçons p.16). (Leçons p27)

Les poèmes du deuil, liant le réel poignant à l’interrogation, la lumière et le deuil, la hantise de la mort (poème 8 dans Chants d’en bas » p.51) « singer la mort à distance est vergogne,
… avoir peur quand il y aura lieu suffit ».

Philippe Jaccottet se penche avec tendresse sur l’enfance, mêlée à la mort :
Dans « Parler », le poème 4, p 46  Dans « Leçons » p.29 :
« le convoi du petit garçon L’enfant, dans ses jouets, choisit, qu’on la dépose… …de l’école au cimetière, sous la pluie … auprès du mort, une barque de terre :
Un chien jaune appelé Pyrame… Le Nil va-t-il couler jusqu’à ce cœur ?
fragments, débris d’années ….

J’ajoute que les auditeurs présents ont tous ressenti et exprimé l’angoisse de l’enfant en la liant, vraisemblablement à un souvenir de Philippe Jaccottet enfant et la leur à travers lui. J’ai pensé aussi au passeur Charon, à sa barque et au chien Cerbère, gardien des Enfers.

Dans ces poésies se décèle un rejet bien normal de la vieillesse, de la décrépitude, de la mort, mais aussi une justesse qui n’exclut pas le doute dans le poème « L’Ignorant » :
« Autrefois,
moi l’effrayé, l’ignorant, vivant à peine,
Me couvrant d’images les yeux,
J’ai prétendu guider mourants et morts… ( Leçons p.11)

Philippe Jaccottet «  se repent plus tard d’avoir écrit ces paroles. Avait-il le droit de s’exprimer, Il aurait un fond de culpabilité suisses, non engagé, car trop jeune durant la guerre «  précise encore André Ughetto.

André Ughetto distingue une réflexion prosaïque puis une sorte d’envol : « plus je vieillis et plus je crois en l’ignorance, plus j’ai vécu moins je possède et moins je règne, et j’attends un à un que les mensonges s’écartent. » Une auditrice formule une certitude : « on sait la transcendance qu’il n’atteint pas », qu’elle rapproche de la position de René Char sur cette question. ( René Char ayant dit un jour à André Ughetto «Je suis un gnostique athée »). André Ughetto répond que Philippe Jaccottet est plutôt un agnostique, il s’interdit d’affirmer quoi que ce soit de ce qu’il ne connait pas. Simone V. le ressent proche de l’animisme. En ce qui me concerne, je ressens fortement la correspondance, entre René Char et Philippe Jaccottet par rapport à l’élément « feu » caractère héraclitéen de certaines poèmes, tel que « Les Gitans » :  il y a un feu sous les arbres , dans son premier recueil.
Philippe Jaccottet ne veut pas passer au-delà de l’interrogation, on reste dans l’hypothèse et non dans la solution dit A. Ughetto. Le débat reste ouvert : « on ressent l’absence de Dieu, on ressent la transcendance et donc le sens de la Terre, ce qui fait le prix des choses »
Au début de son écriture, Jaccottet se pose des questions ; après le refus, dans les cycles suivants, au fur et à mesure il trouve des réponses pour glorifier le présent. A côté de l’horreur, il y a la beauté, on ne doit pas taire mais faire la louange de la vie, dans son sens le plus heureux :
« Soleil, enfin moins timoré, soleil croissant,
Ressoude moi ce cœur » (Joie p.127)
Ou encore « Regarde là courir sur ses jambes toutes nouvelles à la rencontre de l’amour » (p.134)
Une nouvelle jeune auditrice s’interroge sur la réalité de « l’étrangère nue » Est-ce son épouse ? La réponse d’André Ughetto est qu’il ne s’agit pas d’une femme réelle , mais de la femme vampire, mais, dit encore Danielle, une image de la mort Eros/Thanatos, ( correspondance pour moi avec Thomas Mann, fin de  « La Mort à Venise », rappel et sujet de mon mémoire de maîtrise).

Apparaît de plus en plus le côté  positif en dépit de la souffrance et de la mort. La poétique du poète et de l’écrivain cheminent en parallèle avec la peinture d’Anne Marie, très ténue, disponible mais contemplative et bienfaisante (les arbres, les fruits).
A côté de l’horreur, il y a la beauté, rappelle André Ughetto, on ne doit pas taire mais faire la louange de la vie, dans son sens le plus heureux

Jaccottet publie « La semaison », en 1984 chez Gallimard, carnets I, puis II –III, qui regroupe les suivants de 1956 à 1998, suivie d’autres carnets en 2001, pessimisme avoué mais contact avec la nature qui procure confort et confiance..

Philippe Jaccottet a beaucoup voyagé dans sa maturité rappelle André Ughetto. Il a publié en 1993 « Cristal et fumée », notes de voyages évoquant la Grèce, l’Espagne, l’Egypte magnifique mais écrasante ; lui se sent plus proche de la Grèce Il a écrit en prose sur le Liban et sur la Syrie, « où il a vécu des moments très heureux, car à côté de l’horreur, il y a la beauté, on ne doit pas la taire mais faire la louange de la vie, de son sens le plus heureux ». Israël, cahier bleu, est récit où il peut être parfois question de politique car il ne refuse pas l’engagement  : « ce peu de bruit » car il est très transparent à l’actualité mais aussi « Un calme feu », anthologie des poèmes syriens et libanais.

La collection « La Pléïade » va éditer ses œuvres, mais aussi ses écrits de voyages autour de la Méditerranée et en Hollande. De l’avis général des auditeurs présents, ceux-ci seraient heureux que dans l’avenir André Ughetto puisse nous en parler, ce sera aussi passionnant qu’aujourd’hui.

L’écriture poétique de Philippe Jaccottet, (des vers et de la courte prose) est une recherche constante du mot juste (sens de la mesure et du non-dit) : « les champs de blé, ce n’est plus du jaune, pas encore de l’ocre. Ni de l’or. C’est autre chose qu’une couleur » ( La seconde semaison ), « le ton employé, la défiance à l’égard de tout excès, les mots fuient la grandiloquence, le regard, la parole juste plus fugace que la vitesse du vent, voix basse entre indicible et la parole. Ce sont les mots et non la lumière qui surgissent des ténèbres  «  Car au commencement était le Verbe »,  insiste André Ughetto. 

Dans « A la lumière d’hiver » on rencontre le « noyau générateur », et André Ughetto fait la comparaison entre Jaccottet ( le yin), pensée nocturne, et René Char (le yang), l’aspect solaire (cf. Fureur et Mystère). Ph.Jacottet publie en 2011 « L’encre serait de l’ombre » (poèmes et prose (1946-2008). Simone V. évoque les peintures asiatique à l’encre, très inspirées de «aïku », avec dimension métaphysique. Danielle Grégoire nous rappelle la sensibilité à la musique dans « Semaison IV » car Philippe Jaccottet est aussi musicien.


Pour conclure, André Ughetto cite par deux fois Simone Weil  citée par Jaccottet dans « La Semaison » : « toutes les fois que l’on fait vraiment attention, on détruit du mal à soi. »


                                  http://jaccottet.free.fr/bibliojaccottet.htm
      

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