PURGE de SOFI OKSANEN (édition Stock)
5 Mars 2012 Monique BECOUR
PURGE, traduit en 2010, prix Roman Etranger FNAC, a obtenu le prix du Roman Fémina étranger en 2011 et le Prix du roman européen. De nombreuses critiques élogieuses ont entouré sa publication, en vingt et une langues.
La double origine de Sofi OKSANEN, père finlandais et mère estonienne lui pose problème nous disent Anne Marie et Gisèle, deux sœurs, qui nous font découvrir cette œuvre importante. Sofi OKSANEN, de langue finnoise, née en 1977 à Jyvaslakylà au Nord d’HelsinskI suit des études littéraires, puis de dramaturgie à HelsinskI, obtient un doctorat sur la langue finnoise. Elle publie trois romans dont « Les vaches de Staline » et « Baby Jane » non traduit « sur la violence et l’anxiété dans les couples lesbiens » et « la génération Wiki Leaks » (leaks : les fuites).
Nancy Huston dit de ce livre « a marvel, a sheer masterpiece, literary genius ».
Très engagée, Sofi Oksanen écrit sur l’identité multinationale, sur l’égalité sexuelle, elle est bisexuelle. La genèse du roman est la culture de l’Estonie à travers parent et grands parents. Nos animatrices la citent : « derrière tout cela , il y avait la peur ». Dans une interview, l’auteur décrit les estoniens d’anciennes générations qui parlent sous le manteau des diverses occupations subies à travers les décennies : «alors les nappes des tables se soulèvent », dit elle.
Le viol est à l’origine du roman, « viol fait pour montrer ce qui devait rester caché ». Sur la quatrième de couverture de l’édition Stock, Kirkus Reviews dit que ce livre est écrit « dans une tonalité qui rappelle « Expiation » d’Ian McEwan, le meilleur du polar scandinave, joyau amer ».
Comparatiste, j’ai lu « Expiation » pour trouver les correspondances. Elles le sont dans ce deuxième livre, - (apprécié par ailleurs des britanniques et des néo zélandais), - en raison du viol d’une jeune fille de 15 ans comme l’est Linda, dizaine d’années, la fille de Ingel, dans une cave ainsi qu’Aliide, un sac sur la tête dans une cave sordide. Linda restera presque muette, atone toute sa vie.
Confrontation de deux femmes qui traversent le livre : d’abord deux sœurs Ingel et Aliide en concurrence intense sur les choses de la vie, du ménage, de la cuisine, de la ferme. Ingel écrase constamment sa jeune sœur et Aliide va prendre une revanche terrible dans le temps, car
évidemment, amoureuses du même homme, Hans, celui-ci choisit et épouse l’aînée, lui donne une fille Linda.
L’écriture n’est pas linéaire, aucun ordre chronologique, découpage en cinq parties La première partie se situe en 1992, un flash back fait remonter l’action en 1948, troisième partie en 1950, la quatrième en 1949, la dernière en 1950. Les personnages sont ballotés entre présent et passé,
Le lecteur appréhende l’Histoire de l’Estonie inconnue ou oubliée, mais indispensable pour la lecture, aidé heureusement par la chronologie en fin de livre sur les occupations successives :
la Russie jusqu’en 1917 suivie de la Guerre d’Indépendance jusqu’en 1920 et de la proclamation de la République. Las, alors que l’Allemagne envahit la Pologne fin 1939, l’Armée Rouge pénètre en Estonie et « rapatrie » certains estoniens vers l’Allemagne, l’URSS incorpore l’Estonie sous le nom de « République socialiste soviétique d’Estonie » et cette fois déporte massivement vers la Sibérie, ( les parents des deux sœurs n’en reviendront jamais).
En Juillet 1941, violation du pacte germano soviétique par l’Allemagne, nouvelle occupation et extermination de la communauté juive.
En 1944, l’Armée Rouge repousse les nazis et occupe pour la deuxième fois l’Estonie : immigration de russes provenant de l’URSS, collectivisation des campagnes déportations massives en 1949 vers la Sibérie, viennent Khrouchtchev, en 1985 début de la perestroïka, puis « la Révolution chantante » jusqu’en 1991 où est restaurée « la République d’Estonie » avec le drapeau bleu-noir-blanc et la monnaie la couronne estonienne.
L’entrelacement des faits, des actes des personnages permet de distiller les informations et la tension dramatique est intense. De plus les styles différents, dit Gisèle : narratif pour la partie romancée, ensuite sous forme du journal de Hans, sauvé par Aliide, maintenu caché dans la ferme dans des conditions épouvantables. La dernière partie du livre, rappelle Gisèle, est constituée des rapports secrets de Martin aux chefs de réseau KGB et permet de comprendre certaines parties restées assez obscures.
Aliide m’évoque la « Veuve noire », (lafrodectus mactans), venimeuse, mortelle pour l’homme l’araignée qui tue, mange le mâle et ses opposants. Aliide, devenue la maîtresse femme du domaine, rusée, calculatrice, domine, de façon détournée, Martin TRUU, son mari agent secret chargé de localiser les criminels d’Etat, Hans caché, qu’elle veut tout à elle ; lui son débiteur, la repousse.
Aliide représente pour Gilbert et Robert, nos lecteurs, le héros tragique, mythique, qui se bat constamment. Elle est, pour d’autres lectrices, la mouche qu’elle pourchasse constamment dans la cuisine, mouche du coche, symbole de la fatalité. Rude, rugueuse, elle n’est sympathique que dans l’aide qu’elle apporte à Zara, enfuie du milieu de prostitution où elle est enfermée par Pacha son proxénète,( 14 ans de KGB qui mène à tout ! ). Les scènes de description des maisons d’abattage sont très dures, perversité, maltraitances et cruauté infinies, insoutenables : « les victimes de violences sexuelles en temps de guerre ont des symptômes comparables à ceux des victimes de proxénétisme. J’ai découvert que nous avons de véritables camps de concentration consacrés au viol en plein cœur de l’Europe. Nous avons besoin d’être informés sur ces sujets » dit Sofi OKSANEN dans une interview récente.
Jean fait remarquer que « les hommes n’ont pas le beau rôle », Ils ne sont ici que les maitres du jeu politique et social, marginaux.
L’exception , cependant, les estoniens des campagnes, dont Hans, - d’abord engagé dans les Waffen SS - qui se sont regroupés dans un mouvement de résistance dès 1944 « les frères de la forêt ». J’ai vu un documentaire glorifiant ceux-ci, sur la chaîne cinq, il y a quelques temps. Ils construisaient des abris souterrains, des cabanes en rondins de bois et recueillaient des juifs tout en rançonnant des fermes pour la nourriture. Il y était interdit aux femmes de se trouver enceinte, car problèmes ingérables. J’ai regretté que ce sujet ne soit pas plus fouillé dans le livre. Gisèle précise que ses recherches lui ont permis de dire que 75 % des « frères de la forêt » étaient d’anciens Waffen SS. Etaient-ce des déserteurs enfuis ? Elle rappelle encore que les allemands occupants de la guerre des années 1940 étaient reçus à la table de Hingel et Hans et qu’ils auraient souhaité qu’un d’entre eux s’intéresse à Aliide.
C’est un roman de femmes, écrit par une femme. Aliide refuse d’accepter ouvertement, tout au long du livre, son lien de parenté avec Zara, mais elle la recueille, la réconforte, la cache, la défend des deux proxénètes et va jusqu’à les tuer pour la sauver.
Gisèle fait aussi apparaître la similitude de destinée entre l’ancienne Princesse Augusta du Château de Koluvere proche de la ferme d’ Aliide, avec Zara, la prostituée qui veut retrouver la grand tante inconnue. Augusta au mari fou, morte en captivité, en hurlant de malheur. Zara enfuie de la voiture de Pacha, persécuteur, cherche son chemin vers la ferme décrite par sa grand-mère Hingel, celle qui parlait. « Pourquoi personne n’avait aidé la Princesse, pourquoi personne n’avait laissé la princesse sortir du château, alors que ses pleurs étaient connus de tous ? Aide-moi Augusta ? aide moi à trouver mon chemin ».
Enfin , le portail de la ferme est reconnu, encadré par des saules pleureurs et une grosse pierre :
« Le portail de cette ferme serait-il le commencement de l’histoire de Zara, d’une nouvelle histoire ? ».
Ce livre est à lire absolument, Je l’ai apprécié. Merci à deux sœurs de nous l’avoir présenté. Peut-être aura-t-il une suite ? Un film tiré de « PURGE » paraîtra en 2012, produit par Markus Selin.
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