Séance sur René CHAR du 15 mars 2009


Le billet à CLAUDINE par Michel BOUDIN

René CHAR ou une autre manière d'habiter les mots

J'acquiesce volontiers, Claudine, à ton réprobateur haussement d'épaule qui accompagna ma décision d'aller à la séance de DIRELIRE consacrée à René CHAR.

"Ne te crois pas obligé d'être obscur" conseillait déjà à Alain un de ses amis. J'ai longtemps pensé la même chose à l'égard de la poésie de René CHAR et j'étais secrétement complice de ta désapprobation.

Mais l'éblouissant talent de Mr Jean-Christophe CAVALIN m'a amené à revenir sur ces positions paresseuses. Il m'a ainsi été donné de réactualiser des connaissances enfouies.

- Je me suis donc souvenu que déjà dans Rabelais, l'échange des discours semble, comme le dit Pierre Mari "tantôt acquis aux riches transparences de la communication, tantôt livré à d'obscures forces qui l'affranchissent de toute contrainte figurative ou pragmatique" et que donc ces "obscures forces" avaient quelque chose à voir avec la poésie de René CHAR.

- Je me suis souvenu aussi que le langage "pouvait osciller entre l'économie fluide des signifiés et les concrétioons allégrement opaques du signifiant" et qu'ainsi cette opacité méritait réflexion.

- Je me suis souvenu que pour Ponge "le poète doit descendre dans la nuit du logos jusqu'en ce lieu où se confondent les choses et les formulations" et que donc il existait "une nuit du logos" qu'il fallait prendre en compte.

- Je me suis souvenu que pour Rimbaud le poème incarne la révélabilité de l'être par le surgissement des formes matérielles du langage.

- Enfin j'ai retrouvé ces propos de Garelli qui me semblent en parfaite harmonie avec notre sujet : "Nul message dans la voix du poète, nulle force implacable de démonstration. Mais au sein du lagage l'inscription sauvage d'une brèche d'où coule l'inépuisable hémorragie des mots truqués, tronqués auxquels la sagesse humaine cherche obstinément à conférer un sens".


Quelques clefs peut-être, Claudine, pour lire autrement René CHAR? C'est tout le bonheur que te souhaite ton cousin:


FLORENTIN

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Un texte d'Andrée CORSE sur René CHAR


« Obéissez à vos porcs qui existent, moi je me soumets à mes dieux, qui n'existent pas ».

La poésie de René Char est parfois rugueuse, comme sa voix.

Garde-t-il de son enfance une rancune (probablement envers son frère aîné) mystérieusement évoquée dans « l'adolescent souffleté » ? :

« … Les mêmes coups qui l'envoyaient au sol le lançaient loin….vers les futures années où, quand il saignerait, ce ne serait plus à cause de l'iniquité d'un seul ».

Il garde intact pour autant la richesse des sensations et le goût de la nature tels qu'il les a connus (que nous les avons connus) dans l'enfance :

« Ils sont privilégiés ceux que le soleil et le vent suffisent à rendre fous».

« La pente de l'homme faite de la nausée de ses cendres….ne suffit pas à nous désenchanter.. »

C 'est le caractère de l'homme. : il vit avec la tragédie, la beauté et l'espérance…et dans la poésie (jusqu'au cou - il semble que le terme soit de lui) :

« …traverser avec le poème la pastorale des déserts, le feu moisissant des larmes….dans les noces de la grenade cosmique »


mais aussi dans la morale de l'action : « L'acte est vierge, même répété ».


Dans cette sa poésie, difficile de ne percevoir que la musique des phrases ; il « dit » et si son dire ne s'engouffre pas dans des concepts ni dans une quelconque sagesse, il trace son sillon dans les étincelles de l'entrechoquement des mots et la fulgurance des images avec un verbe dont le sens, métaphores à l'appui, ignore souvent la logique pour atteindre la pensée plus violente plus fugace et plus mystérieuse qui habite la sensation.. « …l'angle où s'épousent intelligence et sensation…le climat souhaitable de la vie. »

Le langage peut être porté à incandescence mais la réflexion y est inscrite ; s'il évoque avec une sensualité légère (à peine voilée de regrets) :

« …la rencontre odorante d'une fille dont les bras se sont occupés aux fragile branches…. »


Il s'attarde avec gravité :

Sur la liberté : « Elle est venue …son verbe ne fut pas un bélier mais la toile où s'inscrivit mon souffle. »


Sur la réception de l'Art :

BALTHUS « …place sous nos yeux les ressources de la tragédie (où) nous désirons cette guêpe matinale que les abeilles désignent du nom de jeune fille.. »


DE STAEL qui « …met en chemise et au vent la pierre fracassée.. »


Plus troublant l'étrange « éloge à Sade » :


" Le mystère allume de monstrueux feux de paille.. "

" ….celui qui sur les ailes de la folie précipite à hauteur d'aigle la morale démasquée "

" ..celui dont les étranges propos découvrent aux paralytiques les impressions saisissantes.. "

" Pour pouvoir s'en approcher, il faut avoir cru plus que de raison……"»

" Sade, l'amour enfin sauvé de la boue du ciel, l'hypocrisie passé par les armes, cet héritage suffira aux hommes, leurs belles mains d'étrangleurs sorties des poches."


S'interroge-t-il, sur l'inquiétante étrangeté de la sexualité, déviante ou pas, ou bien fait-il de Sade un visionnaire des crimes commis au nom de la pureté.… de la race ou des idéaux.?

La grandiloquence du verbe de René Char peut demander parfois un atterrissage plus ou moins forcé ; on peut y trouver des métaphores survoltées, des contradictions ignorées, mais sa « parole en archipel » qui gronde comme un torrent, parfois juge et souvent aime, (« ne te courbe que pour aimer ») nous permet de reconnaître et de saisir pour les revivre dans l'instant des émotions (y compris la pensée ; pense t-on sans émotions ? même des mathématiciens en doutent…) qui sont les nôtres,


Andrée CORSE



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« LES FEUILLETS D'HYPNOS » tirés de « FUREUR ET MYSTERE » René CHAR (1907-1988)

Chronique de Monique BECOUR

Mr Christophe CAVALIN, professeur à l'Université d'Aix-en Provence, nous parlait le 15 Mars 2009 de l'œuvre poétique de René CHAR. Il faut le remercier et lui rendre un éloge pour sa présentation, sans être toujours d'accord avec ses réticences. A signaler que le Lycée Français de Londres, fait travailler, cette année, les élèves de classe de première, sur René Char dont les qualités sont mieux reconnues, semble-t-il, par nos anciens Alliés qu'ici.

J'écris mon étude personnelle en rendant hommage aux maîtres qui m'ont formée à Paris X Nanterre, ainsi qu'à Jean SUQUET , poète ami disparu en 2007, dernier des Surréalistes, ami de Breton qui lui avait remis sa carte de « correspondant emphytéote », au Collège de Pataphysique. Le peintre DUCHAMP lui avait confié par un courrier de New York, daté du 25 Décembre 1949, l'analyse du « Grand Verre rêvé » (J.SUQUET Aubier), ce dernier admirait l''écriture poétique de René CHAR.


René CHAR , capitaine d'un maquis durant l'occupation allemande traduit, - dans « SEULS DEMEURENT » et « Feuillets d'HYPNOS » (1943-1944) tirés de « FUREUR ET MYSTERE »- une volonté militante et une expérience des hommes.

C'est donc moins l'action de la Résistance que l'émotion du résistant qui se délivre dans l'expression forte et parfois très dure avec comme point de départ quelques règles d'action ( cf. Hypnos de 1 à 5). Comme Camus et Malraux, Char engagé, décrit la condition humaine à travers cette action, donc, combat pour la Liberté et politique deviennent en lui et par sa création, combat pour la liberté de l'esprit créateur, humanisme réservant à tout prix « l'inaccessible champ libre à la fantaisie de ses soleils ».

L'introduction des « Feuillets d' Hypnos » précise « que ces notes furent écrites dans la tension, la colère, la peur, l'émulation, le dégoût, la ruse, le recueillement furtif, l'illusion de l'avenir, l'amitié, l'amour, c'est dire combien elles sont affectées par l'événement ». (p.85 ). Ses notes, non d'historien, mais libres sont une décharge émotionnelle au gré des circonstances et protestations contre une tyrannie. Ce n'est pas une œuvre SUR La Résistance, répétons-le , Char transcende tout son être et son langage par ses aphorismes. Il veut agir sur le lecteur comme sur un résistant novice : c'est sensoriellement , par l'image qu'il s'applique à lui faire toucher le progrès.

La condensation, c'est-à-dire le regroupement de plusieurs éléments et d'images permet d'accumuler l'idée en une seule image : ce n'est pas la pensée « du – ou » mais « du – et ». De même les prépositions « à » et « de » sont utilisées par Char pour donner un enrichissement symbolique utilisé dans la « Théorie du Surréalisme » et aussi par A. Breton pour réunir ce qui ne peut être réuni.

Citons l'intériorisation de l'image : « les amis anonymes », les « êtres furtifs que nous sommes devenus » (n°159 p.128), les compagnons de combat, ou la nature, ou la femme aimée : « les vieux ennemis transformés en loyaux adversaires »( n°6 d' Hypnos ) et non les nazis en face ; ou encore « la souris d'enclume » qui fait exploser le feu, jaillir les étincelles.

L'homme pense, le poète écrit, la pensée suit les mêmes processus en face de procédés qui ne sont pas des procédés logiques. Les images donnent toujours un sens ambigu au poème. On ne passe pas de l'illogisme au logique. A remarquer aussi le mouvement en avant, la libération de la jeunesse, l'obstacle franchi « mon épaule peut bien sommeiller, ma jeunesse accourir » (p.190).

La symbolisation, une idée abstraite est souvent représentée dans le passage du concret au concret ; le rêve aussi par une image : comme exemples, « le point d'or de cette lampe inconnue de nous » : c'est-à-dire, l'espérance, la persévérance pour continuer le combat (n°6, p.87), ou « la jeune fille comparée à une lampe, l'auréole en serait le parfum » ; la synecdoque (élargissement ou rétrécissement du champ sémantique), utilisation de la partie pour le tout : le bras signifie la jeune fille.

La dramatisation ou éléments du rêve organisés selon un drame ; elle permet toutes les comparaisons, toutes les métaphores et donne un mouvement de pensée qui n'est plus logique d'où correspondance entre désirs différents : ainsi dans le poème « Liberté » (p.52), les assonances de la première strophe reprises dans la dernière, (l'absence, l'issue, associées au « cygne posé sur la blessure » : sous entendu la Liberté ). Au n°23 d' Hypnos « Présent crénelé. .. » aphorisme en deux mots étendards, métaphore politique de la France veillant au château-fort de ses maquis crénelés, la situation est suggérée avec sobriété, pittoresque ..

Nous voyons tout le travail du rêve qui rejoint celui de la poésie avec des divergences que l'on peut réunir, les redondances sur le Feu ou la métonymie utilisée : le phénix à la place du Feu.


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