"La compagnie des spectres" de Lydie Salvayre le 18 mai 2003


Des chapitres inachevés, des phrases coupées de silences inattendus,des suppléments à ce qui précédait, nécessaires à notre compréhension, des inventaires aux excès jubilatoires,des subjonctifs imparfaits savoureux, des diatribes aux assonances et allitérations explosives... Un jeu sur toutes les formes du langage transformé en système? Bien sûr.

Pour Lydie Salvayre, semble-t-il, ces deux femmes inermes de La Compagnie des Spectres n'ont que la parole pour se défendre: les mots, tous les mots; depuis les jurons et les obscénités, "signe de vigueur spirituelle", jusqu'aux termes savants, rares: aposiopase, paralipomènes, prolègomènes, sycophante, figures entéléchiques du mal...

Les phrases de grands penseurs, citées pour s'assurer de leur pouvoir, les paroles trouvées dans les livres-maîtres, unique chemin afin de préparer suppliques, attaques, défenses, cris... autant pour la grand'mère préparant son discours à Pétain, que pour la jeune fille Louisiane face à cet huissier de marbre, figure de toutes les tyrannies, que pour la mère, Rose, qui ne cesse de moudre sa vision de l'Apocalypse qui commença sous le régime vichyssois avec le meurtre de son frère Jean. Ma mère crache avec fureur toute sa haine contre les monstres fascistes, haine qui l'a rendue folle. Folie que les docteurs en âmes "semblables au Dr Donque (quel beau travail sur les noms propres) sont "infoutus" de soigner, de même consoler. Son existence, vidée de tout autre signification, n'a plus qu'un but: accuser les tueurs,meurtriers, bourreaux, coupe-jarrets, éventreurs, chacals - elle n'est pa en reste de mots- tous les assassins: ceux d'hier, ceux d'aujourd'hui, ceux qui fomentent les crimes, ceux qui les commettent et tous ceux qui en tirent profit.

Mère et fille vivent dans ce huis clos infernal, survivant avec une bien maigre pension que Louisiane tente de gérer, elle qui attend en vain la rencontre de l'amour dont elle ne connait rien hormis ce qu'elle en observe par une étude minutieuse des baisers de cinema.

Dond l'huissier est finalement jeté dehors... Nous ne sommes pas optimistes. Que deviendront-elles? Comment ne pas entendre résonner en nous ces paroles si lucides de Rose la démente, face à ce déferlement de la violence visible partout dans notre monde; dont il n'est pas possible d'être le témoin sans en être atterré jusqu'à l'affolement? Les spectres nous entourent, ils sont partout, affirme-t-elle. Lydie Salvayre nous laisse pantelants après cette lecture où le "victimaire", l'huissier, devient victime des deux femmes emportées par la démesure de la situation qui déchaine leurs rires avec leur rage.

Une dernière ligne d'espoir?

Andrée HAGEGE

Lire aussi d'autres impressions de lecteurs chez les membres du groupe de lecture parisien "Voix au chapître" sur le site www.voixauchapitre.com

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