« LES BONNES » de  Jean GENET ( 1910-1986)                20 Novembre 2011                            Monique Bécour

Nicolas Diassinous, doctorant en Lettres à l’Université d’AIX-MARSEILLE, nous présente Jean GENET  en
l’absence de Mr CAVALIN retenu.
Jean Genet,  né de père inconnu, mère femme de chambre, est placé dès son jeune âge en famille d’accueil dans le Morvan. Il fugue à plusieurs reprises, se retrouve entre 14 et l7 ans en colonie pénitentiaire à Mettray,  sa révolte contre l’oppression est  initialisée là. Il s’engage dans la Légion,  y reste  environ cinq ans et continue une vie de vagabondage en Europe, avec de nombreux  allers et retours en prison pour vols, y compris à Paris durant la guerre. Jean Genet condamné plus d’une quinzaine de fois pour vols jusqu’à la perpétuité, bénéficie de la grâce du Président Auriol.
En 1946, date d’écriture de la pièce, Jean Genet est marginal. Il publie dans la clandestinité, soutenu par Jean Cocteau qu’il rencontre à Marseille, donc la grande notoriété de Jean Genet passe par cette ville où, homosexuel, il se prostitue rue Bouterie (autrefois derrière la Mairie). La canonisation de Genet passe aussi par J.P.Sartre, qui  lui donne ses lettres de noblesse et l’auteur continue à entretenir la mythologie du voleur. Jean Genet se fait un nom dans l’intelligentsia parisienne : se faire voler un bibelot, se faire détrousser par Genet était à la mode lors des diners parisiens parmi ses riches amants clients. L’influence du crime est très forte sur la « Société » de l’époque.

Dans la première période de Jean Genet, paraissent « Les Bonnes »,( 1946) « Journal  du Voleur »« Haute surveillance », « Les condamnés à mort », etc... Il y fustige les préjugés sociaux et raciaux de ses contemporains. Jean Cocteau  propose à Louis Jouvet de monter un texte de Genet, son protégé.  Louis Jouvet fait réduire la pièce de six actes à douze personnages en un acte seulement très concentré.
Lors de la première représentation de la pièce «Les Bonnes » (1947) est jouée également une pièce de Giraudoux « L’Apollon de Bellac » ; la pièce de  Genet est sifflée, tohu- bohu,  celle de Giraudoux rattrape la situation  conflictuelle de ce charivari.
Nicolas Diassinous insiste sur les « trois vertus cardinales » pour Genet : homosexualité, vol, trahison !
Dans la deuxième période de Jean Genet  paraissent «Le balcon » « Les Nègres », Les Paravents ».
La pièce « Les Paravents » donnera lieu aussi à « la bataille  des  Paravents » lors de sa représentation théâtrale (1961), pastiche en pleine guerre d’Algérie. L’argument de la pièce est une traversée de paravents après laquelle vient la mort.

Après le suicide de son amant  Abdallah en 1966,  Genet s’engage pour défendre la cause des « Black Panthers ». J’ajoute que l’épouse de Romain Gary s’impliquera également.
 Historique : Le groupe de libération des noirs  « Black Panthers » est fondé en 1966 en Californie ; le groupe revendique  ensuite le « black power » et constitue des milices armées pour assurer la tranquillité des ghettos.
J. Genet soutient ensuite la cause des Palestiniens qui se révoltent, «  mais s’ils gagnent il n’y a plus de jeu », dit-il.

La pièce « Les Bonnes » a pour genèse une chanson de Cocteau et le crime des sœurs Papin : trois sœurs dont deux vont assassiner dramatiquement leurs patrons. Un film s’est inspiré également de cette affaire criminelle. Il ya un perpétuel basculement entre les sœurs,   du  « je » à «  Madame ».  Jean Genet a contesté que sa pièce s’inspirait du crime des sœurs Papin, cependant dit Nicolas Diassinous, un indice permet d’avancer le contraire car  le crime avait été complaisamment décrit dans le journal « Détective », que lit Claire, une des deux  soeurs, dans la pièce.
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Claire (une de deux bonnes) exprime son aversion pour les domestiques : «  l’exhalaison de vos corps démodés,… vous êtes notre miroir déformant ».
 Nicolas Diassinous  est convaincu  que « cette pièce restera celle du XXème siècle, contrairement, pense-t-il,  au théâtre de Sartre et Camus dont la thématique s’effacera dans les générations futures, »  ce qui fût un peu discuté dans notre groupe.

Le lecteur et  le spectateur de la pièce «  Les Bonnes » peuvent y déceler  plusieurs lectures et interprétations.
D’abord, dit-il, on peut en faire une lecture classique, racinienne qu’il privilégie (les trois unités : lieu, temps, action, respectées ). Nicolas évoque alors  Bajazet et  Britannicus.
 Il y voit « le théâtre dans le théâtre avec jeu de rôles,  à la manière élisabéthaine, le rituel fonctionne bien »  comme dans « Jules César » de Shakespeare, par exemple..
C’est   aussi, une réflexion politique, domination entre « Madame » et les deux bonnes, mais Nicolas Diassinous conteste  l’idée que ce serait une pièce à l’usage des  syndicats de domestiques.  On y analyse   une relation érotique entre les deux sœurs et « Madame », entre les sœurs et «  Monsieur », mais aussi homosexualité envers « Madame ».
Autre lecture,  « une révolte contre l’Eglise, puissance étouffante dans les années 40.   Ceux qui ont vécu cela,  dit-il,  veulent se révolter contre le sacré, contre les contraintes d’aliénation. » Une auditrice relève le jeu des regards, cette aliénation des  portes qui ne mènent à rien comme dans « Huis-Clos » de Sartre.
On retrouve aussi le baroque espagnol «  tout le monde joue tout, donc forme baroque. »
Chaque interprétation réactualise le tout, dit-il.

Un auditeur s’interroge sur la beauté de la langue de Genet. Quelle en est la source ? Autodidacte, Genet n’obtint qu’un certificat d’études, mais lecteur assidu, il acquiert un niveau de langue parfait, précis,  évocateur du XVIIème siècle,  perverti  par des vulgarités sado masochistes. Genêt grand provocateur, blasphématoire, appelle  l’indignation. Il voulait créer le malaise. Une participante insiste sur la langue : «  le vocabulaire de putréfaction est opposé au vocabulaire de la lumière, de la clarté « Claire », sol solaire, ange » ...

Danielle G. illustre le propos et dit que cela va plus loin que la langue des possédants car Jean Genet qui emprunte à la langue de Bossuet, blasphème, ce qui  fera sa force : « Madame est morte ! », « étendue sur le linoléum…  étranglée par les gants de la vaisselle ».
Elle insiste : « on est aussi dans le rituel du diable », la messe noire poursuit la notion de sacré et dès le début est mise en scène « Notre Dame des Fleurs » (écrit en 1944) et la parodie de « La Cène ». Lorsque «  les Bonnes » jouent « Madame », elles sont possédées par «  Madame ».
A noter la situation dramaturgique  dans la scène du Balcon, à la fin de la pièce,  le procédé est emprunté au prédicateur, donc toujours le jeu de rôles du théâtre dans le théâtre

Pour Nicolas Diassinous,  la pièce est aussi  une quête d’identité respective. Le but des deux sœurs serait de sortir de cette aliénation, de cette confusion. Elles seront le couple éternel du criminel et de la sainte. Dans « le Miracle de la Rose », (1946),  le criminel est aussi la sainte. Les Surréalistes et Lacan ont été inspiré dans leurs écrits par le cas « cas du délire à deux ».
 Il insiste encore : dans quelle mesure, « Madame », ne pourrait-elle être interprétée comme la troisième sœur Papin, l’ainée,  entrée au couvent ! Les deux sœurs ont une sur protection l’une envers  l’autre, un miroir, une entité bicéphale, elles sont fusionnelles et confusionnelles.
C’est aussi le duo  installé par  Becket  dans « En attendant Godot ».
Pour conclure : Pour Jean Genet, la vie est une bouffonnerie obscène,  la thématique de la mort et sa célébration sont  omniprésentes  chez lui, car dit Gilbert L. :« Mort, on a trouvé son identité ! ».

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