Le Cercle Littéraire des Epluchures de Patates de Mary Ann Schaffer et Annie Barrows


                                             LE CERCLE LITTERAIRE DES EPLUCHURES DE PATATES
                                                       « The Guernesey Literary and Potato Peel potatoes »
                                              “La Literatura de piel de patate de Guernsey y las patatas »
                  Monique Bécour (7 Mars 2011)                                    Mary Ann  Schaffer et Annie Barrows

Mary Ann Schaffer est née en 1934 en Virginie (USA). Editrice, bibliothécaire, puis libraire, elle découvre Guernesey en  1976, fascinée,  elle est coincée sur l’île par un épais brouillard. Des années plus tard, son éditeur et son propre cercle littéraire l’encouragent à écrire son premier roman qu’elle achève avec sa nièce Annie Barrows lorsque sa santé soudain défaillante, elle apprend que son livre va être édité. Le roman est publié en 2008 par l’éditeur américain Random House peu après sa mort et rencontre un vif succès international. Il reçoit le « Prix du meilleur livre » du « Washington Post » en 2008. La traduction française paraît en 2009.
Ce roman sous forme épistolaire se déroule du 8 Février 1946 au 17 Septembre 1946. Juliet Aschton, moderne, très libre, orpheline dès 12 ans est recueillie par un oncle à Londres, elle fugue et, mise en pension elle devient l’amie de Sophie Stracham et de son frère Sydney qui deviendra son éditeur.  Juliet a gagné  à 17 ans un prix de 5 livres du « Daily Miror » ; durant la guerre les deux amies travaillent   chez un libraire à Londres et Juliet notre écrivain qui a écrit une biographie d’Anne Brontë (peu de succès),  écrit le soir des chroniques et articles hebdomadaires pour « The Spectator »
Lorsque commence la narration, Juliet, trente trois ans, « dynamique, « gallique » (petit coq), «  haute couturée » (satirique, non sens en 1946), voyage en Angleterre et en Ecosse pour la promotion demandée par son éditeur Sydney avec Suzan, la secrétaire de ce dernier, promotion du livre « Izzy s’en va-t-en en guerre » à partir de ses articles regroupés parus  durant la guerre sous le nom de plume d’Izzy Bickerstaff.
Accusée lors de cette tournée promotionnelle par un journal à scandales d’avoir abandonné son fiancé  Rob, la veille du mariage : « Juliette abandonne Roméo, un Héros tombé en Birmanie », elle taxe « l’accusation d’abjecte, avec soupçon d’homosexualité et une référence à O.Wilde » et jette une théière de thé froid à la tête du journaliste rencontré dans un salon de thé.
Cet article, provoquant le redoublement des ventes de son livre « Izzy », elle s’explique dans la presse : « la veille de son mariage,  Rob est arrivé chez elle, a remplacé tous ses livres de la bibliothèque pour les remplacer par ses trophées sportifs !  - « Remets les livres à leur place a déclenché la séparation ! »
Juliet spontanée, très attachante avec son caractère « sturdy » (hardie, résolue, ferme), reçoit  de Sydney ses propres tickets de rationnement  et de textile (achat d’une robe pêche). Il lui décroche trois articles à écrire pour « The Times ». Enchantée, elle ne voudrait pas qu’on lui demande d’écrire « la louange de la duchesse de Windsor ». L’humour est constant dans ce livre, notamment sur Wallis Simpson à la fin du livre, car Juliet, conviée chez deux vieilles dames, toutes trois s’entraînent à jouer aux fléchettes en visant les yeux du portrait de la Lady, haïe des anglais à l’époque, ( moquée  encore actuellement pour d’autres raisons, malgré le film récent, comme  j’ai pu le constater récemment chez un sujet de sa Gracieuse Majesté ).
Les articles pour le « Times » devront porter « sur les vertus pratiques, morales et philosophiques de la lecture » et Juliet se dit qu’elle choisira le côté philosophique. 
LE BLITZ à  LONDRES est très bien documenté par notre auteure américaine Mary Ann Schaffer qui ne l’a pas vécu cependant : appartement de Chelsea de Juliet bombardé, détruit, Juliet et Lady Bell Taunton guetteuses sur les toits de la Bibliothèque de l’Inner Temple  durant les raids nocturnes aériens (soixante mille livres brûlés lors de ce bombardement), service d’aide aux pompiers, dessin humoristique paru dans « Punch « en 1944 :  un londonien avec une  grande oreille qui écoutait l’arrivée des V1 et des V2 d’Hitler : les bourdonneurs, missiles balistiques installés aux Pays Bas, plantation de petits pois dans les jardins de Kensington Palace, autour de la statue du Prince Albert, mari de la défunte reine Victoria. De l’humour anglais incisif, le non sens à l’état pur ! Tout est décrit avec justesse : les restrictions alimentaires, chaussures, vêtements, les bâtiments écroulés le long de la Tamise, sous forme de tas de briques délimitant les espaces comme à Dunkerque en 1948, longue liste d’attente pour obtenir une ligne téléphonique comme en France à la même époque.
Juliet se dit « d’une génération de guerre, sans soirées dansantes, sans flirt. La guerre fait partie de notre histoire à tous, il n’y a pas moyen de s’y soustraire ».

Son univers s’éclaircit lorsqu’elle reçoit une lettre de l’île de Guernesey.  Dawsey Adams, insulaire a trouvé un livre de Charles Lamb, ». (humoriste anglais 1775-1834) - Son caractère d’employé de bureau  a inspiré Herman Melville pour « BARTLEBY ». - Sont  portés sur la page de garde du livre « Les essais d’Elia » les noms et adresse de Juliet. Peu à peu va se nouer toute une correspondance avec les insulaires : témoignages de ceux ci occupés par les Allemands qui vont constituer, regroupés, la matière de ses articles pour « The Times » et par là même, mise en abime, le livre de Mary Ann Schaffer.  Juliet compare son attente de courrier à celle de l’éditeur de Dickens recevant de l’éditeur le dernier feuilleton de « David Copperfield ».
Juliet apprend l’existence sur l’île de Guernesey au début de la guerre du « Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates ». Amélia,  veuve charmante d’un mari tué à El Alamein avec  leur  fils  accepte d’en expliquer l’histoire dans sa première lettre, « Guernesey accepte de collaborer aux articles de Juliet  sans que les habitants soient tournés en ridicule ». Juliet lui répond que « le traitement léger des mauvaises nouvelles de la guerre pourrait remonter le moral de Londres ».

La description de l’île et de ses habitants est émouvante et évoque nos souvenirs prenants de cette époque : femmes enceinte et  enfants, évacués le 20 Juin 1940 par le dernier bateau vers l’Angleterre et le 30 Juin, l’île bombardée par les allemands, ( 30 victimes),  câble téléphonique et télégraphique coupés, canots de sauvetage et ambulances mitraillés, barques de pêche de familiers d’ Angleterre interdites de navigation , sans lettres, ni journaux, « radios portatives réquisitionnées » : il ne pouvait s’agir que de postes à galène car pas de transistors avant les années 1960. « Plus de bois, tous les arbres abattus, les balustrades et meubles sciés pour se chauffer, plus de paraffine, de charbon. Les gens se couchent tôt après avoir bu une soupe de navet sans os à moelle avec des patates demi cuites sur un plat à four sans graisse,  plus de sel, donc cuisine à l’eau de mer ».
« Les ordres de Churchill   avaient laissé l’île occupée sans moyen de défense ».

 La création du Cercle littéraire-paravent est justifiée par la rencontre d’insulaires, certains ivres-morts,  avec une patrouille allemande à travers champ,  après le couvre feu, (fixé  à 8, puis 7 puis à 5 heures) alors qu’il s’agissait d’une dégustation d’un des  derniers cochons cachés car ceux-ci, répertoriés comme la production du lait, la crème, la farine restante, les poulets, les œufs, la pêche réquisitionnée au bateau à l’arrivée par l’O.A.(officier agricole allemand ). Les petits des truies  avaient tous un acte de naissance. Le cochon  d’Amélia, est sauvé par « le jeu du cochon mort  qui continue jusqu’à ce que la carcasse sente avec acte de décès pour les morts naturelles ».  Le cochon grillé est  accompagné  d’une tourte (pie) : purée de pommes de terre intérieure, sucrée à la betterave, surmontée d’épluchures de patates grillées.
Elizabeth Mc Keena –le trait d’union, point d’ancrage  entre tous,   le centre du livre de Juliet, selon Sydney l’éditeur, -  s’avance alors et débite un flot de mensonges, prétextant la réunion du cercle littéraire de Guernesey pour la présentation du livre « Elizabeth et son jardin allemand » ! L’officier allemand sous le charme d’Elizabeth qui lui rend son sourire accepte : « Chacun rentre chez soi sans détaler ! »  Mise en abime et aussi histoire au deuxième degré lorsqu’on apprendra qu’Elizabeth a eu une petite fille Kitty, du Capitaine médecin allemand Hellman, née en Avril 1942 avec l’aide d’Amélia, de Dawsey Adams, adoptée et élevée par tous ses amis du cercle littéraire car, Elizabeth a été arrêtée en 1942 pour aide à un prisonnier polonais  blessé,(Organisation Todt) ; elle n’est toujours pas revenue le 19 Février 1946 du continent où elle a été déportée vers Francfort , sur dénonciation.
Elizabeth, solaire, fille de l’intendante de Sir Ambrose,  était venue fermer la maison de ce dernier, elle aurait pu regagner l’Angleterre avec le yacht de Sir Ambrose en Juin 1940, mais infirmière,  « intraitable lorsqu’elle pointe son menton vers l’avant », elle a voulu rester sur l’île pour accoucher son amie Eli. Elle multiplie les soins infirmiers, et de façon très drôle en coupant les croûtes de la tête de Sally Ann Frobisher, en lui parlant des trois reines décapitées Mary, reine d’Ecosse, Anne Boleyn et Marie Antoinette : »schlik/schlach ».
 Autant de personnages, portraits et caractères à la manière de « La Bruyère » autant de petites scénettes drôles décrites au travers des lettres qui se succèdent : John Booker, le valet de Lord Tobias, enfui en yacht avec  tableaux,  mais le valet est resté sur le quai en pensant à la cave à vins non embarquée  par le Lord : « Liberté !  sans livrée, sans Lord, sans sonnette, mais avec le vin… ».

Le cercle avec Amélia – qui a réquisitionné tous les livres restants de la librairie Fox - lui donne à présenter « LES LETTRES » de Sénèque ».  John Booker cite « Lequel d’entre vous n’aurait pas préféré voir Rome saccagée plutôt que sa coiffure »  en comparant la garde prétorienne aux pilotes allemands de la Lutwaffe, «  coiffés et manucurés par la coiffeuse du port qui défilaient sur le port de Guernesey  par rangs de 5 avec des filets sur la tête » !
Dawsey Adams, - l’ admirateur inconditionnel  de l’écrivain Charles Lamb - est très généreux, important dans le livre, il boîte, n’a pas pu s’engager pour  la guerre,  fabrique du savon avec le suint d’un cochon mort de fièvre de lait et l’offre aux dames, à Mrs Dilwin, épouse du banquier  dont les robes s’usent plus vite, car « forcément, elles viennent de Paris » !  Il transporte l’eau de mer et la livre en tonnelets aux insulaires, aidé du chirurgien allemand qui la transporte dans sa voiture…
Il me faut citer les autres figures, la fermière Isola Pribby, avec sa demoiselle perroquet Zénobia, qui confectionne les élixirs « le souffle du démon » et baumes pour les muscles douloureux « les doigts d’Ange ». Isola a une tendresse pour les sœurs Brontë, heureuse que Juliet, notre auteure londonienne ait écrit  sur Anne Bronté.
D’autres encore, Will Thisbee, responsable de l’association littéraire, cuisinier des tourtes qui n’allait aux réunions que pour manger sa part, inventeur « d’une pince électrique qui secoue le linge dans le vent pour épargner les poignées de la ménagère » ! Je rappelle que les insulaires s’éclairent à la bougie !... Il a lu « Passé et Présent » de Thomas Carlyle qui lui cause des maux de tête jusqu’à sa découverte sur l’âme ». Sujet dont il va débattre avec le psychiatre Thomas Stubblins, ex- ami de Freud : « L’un de vous a-t-il jamais songé que c’est au moment où la notion de l’âme s’essoufflait que Freud a brandi sa théorie de l’Ego ! »
Eben Ramsey écrit à Juliet que « nombre d’entre eux n’avait pas mis la main sur un livre depuis l’école. » Lui échoit  « Morceaux Choisis » de Shakespaere : il n’arrive pas à tout comprendre, mais ça viendra » !   Clovis Fossey, fermier, n’est pas triste, lui non plus : « il n’avait pas le temps à gaspiller à lire des choses que des personnes qui n’ont jamais existées n’ont jamais faites » mais il veut séduire une veuve tentée par un autre prétendant qui, selon Clovis «n’en veut qu’à ses vaches et à ses pâturages » ! Il obtient  Catulle, « un romain »  qu’il cite « Lesbia qui a éconduit Catulle après l’avoir accepté dans son lit, parce qu’il n’aimait pas qu’elle câline son petit oiseau duveteux ! » Je laisse deviner qui gagnera la veuve Hubert en 1942 ?
Clara Saussey ne lit durant la guerre que son livre de recettes de cuisine et les lecteurs du cercle littéraire n’ont pu en supporter   la présentation détaillée « Stubbins a pesté contre elle, Isola a menacé de jeter un sort à ses casseroles, Will Thisbee lui a souhaité de flamber en enfer ».
Adélaïde Addison, fidèle à sa méchanceté notoire vient perturber la sérénité de l’île…
Juliet est enfin accueillie le 21 Mai 1946, à Guernesey.  Je laisse aux futurs lecteurs la découverte et la suite de ses aventures avec Marckan Reynolds Junior (américain) qui traversent tout l’ouvrage.
 Le cercle littéraire est devenu «Cercle littéraire des amateurs de la tourte aux épluchures de patates» et j’en recommande vivement la lecture. Notre cercle littéraire DIRELIRE a beaucoup aimé ce livre. Best seller,  actuellement à Londres  sur recommandation et cadeau en version  d’origine anglaise,  il y est très lu et prisé également. Sur Google « You Tube », Annie Barrows Mary, vous parle dans un film  anglais  du  livre, de Guernesey et de sa propre participation à l’écriture. Je viens de la découvrir…
Je remercie vivement Elizabeth F. qui a choisi ce livre au printemps 2010, empêchée, elle n’a pu le présenter, ce que j’ai fait avec tellement de bonheur et de souvenirs personnels d’enfant. Ce fût ma «  madeleine  de Proust ».

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