"Magnus" de Sylvie GERMAIN le 15 février 2009



Monique BECOUR
« MAGNUS » qui reçut « le PRIX GONCOURT des Lycéens » en 2005 n'a pas plu à quelques participants, en raison de la dernière partie du livre qui présente le côté merveilleux d'un moine ermite mystique, peu crédible, m'a-t-on assuré ; étonnée de cet avis alors qu'il nous est montré actuellement des hommes et femmes, la quarantaine mature, se tourner vers le mysticisme, en se retirant trois ans ou sept ans dans un monastère bouddhiste français.
A la question d'un participant « Pourquoi fût-il primé par les lycéens Goncourt en 2005 ? » , je réponds que ces jeunes lycéens ayant gardé l'âme d'enfant ont aussi certainement été très touchés par l'histoire de ce jeune héros allemand du livre, Franz-Georg et par le côté merveilleux du conte final de l'ermite « le don de Dieu qui laisse l'homme libre, comme l'est notre héros devenu adulte. Dès « l' ouverture , Sylvie Germain donne à comprendre « le sens du livre, une esquisse de portrait, un récit en désordre, ponctué de blancs, de trous, scandé d'échos , … car une vie humaine n'est jamais aussi linéaire qu'on le croit . » La construction non linéaire du livre a pu gêner le lecteur : constitué de trente chapitres appelés fragments , le n°2 commence le livre, le fragment 1 (au milieu du livre) décrit l'opération «Gomorrah » de la R.A .F. en été 1943 sur Hambourg et le dernier fragment annonce peut-être le passage vers un autre livre. Le récit est coupé de « notules» ou notices explicatives éclairantes d'une page ou deux, prises dans des dictionnaires, des manuels philosophiques, des référentiels d'Histoire, de géographie, d'échos de divers poèmes de Thomas Hardy , de Shakespeare, de Paul Celan, de Jules Supervielle , de biographie de Dietrich Bonhoeffer , de la lettre du 16 Avril 1963 de Martin Luther King sur la ségrégation refusée par une noire de 72ans dans un autobus à Montgomery dans l'Alabama. (cf. le discours récent d'OBAMA). Le plus extraordinaire est que notre auteur qui avait lu « Pedro Paramo » de Juan RULFO, avant 2004, en fait l'élément porteur leitmotiv de son histoire. Ce dernier livre a beaucoup marqué nos participants en 2007 et a même été, pour eux, élément constituant d'une soirée poésie à DIRE LIRE.
L'histoire de Magnus est celle de la Mémoire perdue d'un petit garçon candide Franz-Georg de dix ans auquel manque le souvenir des cinq premières années de sa vie. Sa mère Théa , lui a dit qu'à cinq ans il a subi une forte fièvre, il n'est pas autiste : il n'a gardé de sa petite enfance qu'une seule relique un petit ourson, un peu brûlé au nez et à l'oreille, qui porte au cou un petit mouchoir avec des lettres de couleur M.A.G.N.U.S .
Franz-Georg a une adoration pour son père, le Docteur Clemens Dunkeltal qui chante de sa voix de baryton basse, le soir, des lieds de Schubert, Bach, pour ses amis. Dans la journée, dans un vaste asile de la lande, il « soigne des milliers de malades du thyphus » ! (amorce). Le lecteur ne lira que bien plus loin que la belle demeure est proche deBergen- Belsen !
La mère, aux oreilles diamantées, rééduque l'enfant, lui réapprend sa langue lui raconte les récits de ses propres frères, héros morts à la guerre mais le petit est « parcouru par des ombres venues on ne sait d'où » Nous comprenons par les yeux de cet enfant merveilleux, magique qu'il y a une histoire complexe et l'on attend la suite. Il essaie de se tourner vers son propre passé et il a « des fulgurations clandestines, des giboulées d'aiguilles de feu éclatant, de rouge strident, intense jaune franc d'un feu dans le poêle, soleil de midi aveuglant, crépuscule bariolé de rouge vif, de safran, d'orange » qu'il reçoit avec une sensualité extrême. La langue est superbe ; palimpseste : la mère Théa voulut le blanchir et réécrire sur lui comme sur un parchemin gratté. Nous sommes en 1945, en Allemagne, Hitler est mort, tout se délite et la famille va évacuer, misérablement jusqu'à la rive Nord du Lac de Constance d'où le père s'enfuit au Mexique. Franz-Georg ne comprend rien et continue à se confier à l'ours Magnus « qui entend tout, se rappelle tout et n'oublie rien ».
Adulte, il essaiera de retrouver les traces de son père au Mexique, à Comala : l'insolation et le choc de sa lecture de Pedro Paramo à Comala même vont lever son inhibition et lui restituer «ses anciennes voix qui l'ont consolé ». Juan Preciado va être son double dans les décombres de sa mémoire, dans le labyrinthe de l'oubli. Diverses identités, divers pays, diverses femmes… La solitude revient. « A-t-il jamais su aimer qui que ce soit en vérité ? La nuit de Gomorrhe , il avait perdu toute faculté d'aimer »

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