Janvier 2025
Voici encore une tragédie dont le sujet est pris d'Euripide. Quoique
j'aie suivi une route un peu différente de celle de cet auteur pour la
conduite de l'action, je n'ai pas laissé d'enrichir ma pièce de tout ce
qui m'a paru le plus éclatant dans la sienne. Quand je ne lui devrais
que la seule idée du caractère de Phèdre, je pourrais dire que je lui
dois ce que j'ai peut-être mis de plus raisonnable sur le théâtre. Je ne
suis point étonné que ce caractère ait eu un succès si heureux du
temps d'Euripide, et qu'il ait encore si bien réussi dans notre siècle,
puisqu'il a toutes les qualités qu'Aristote demande dans le héros de la
tragédie, et qui sont propres à exciter la compassion et la terreur. En
effet, Phèdre n'est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente. Elle
est engagée, par sa destinée et par la colère des dieux, dans une
passion illégitime, dont elle a horreur toute la première. Elle fait tous
ses efforts pour la surmonter. Elle aime mieux se laisser mourir que
de la déclarer à personne, et lorsqu'elle est forcée de la découvrir,
elle en parle avec une confusion qui fait bien voir que son crime est
plutôt une punition des dieux qu'un mouvement de sa volonté.
J'ai même pris soin de la rendre un peu moins odieuse qu'elle n'est
dans les tragédies des Anciens, où elle se résout d'elle-même à
accuser Hippolyte. J'ai cru que la calomnie avait quelque chose de
trop bas et de trop noir pour la mettre dans la bouche d'une princesse
qui a d'ailleurs des sentiments si nobles et si vertueux. Cette bassesse
m'a paru plus convenable à une nourrice, qui pouvait avoir des
inclinations plus serviles, et qui néanmoins n'entreprend cette fausse
accusation que pour sauver la vie et l'honneur de sa maîtresse.
Phèdre n'y donne les mains que parce qu'elle est dans une agitation
d'esprit qui la met hors d'elle-même, et elle vient un moment après
dans le dessein de justifier l'innocence et de déclarer la vérité.
Hippolyte est accusé, dans Euripide et dans Sénèque, d'avoir en effet
violé sa belle-mère : vim corpus tulit. Mais il n'est ici accusé que
d'en avoir eu le dessein. J'ai voulu épargner à Thésée une confusion
qui l'aurait pu rendre moins agréable aux spectateurs.
Pour ce qui est du personnage d'Hippolyte, j'avais remarqué dans les
Anciens qu'on reprochait à Euripide de l'avoir représenté comme un
philosophe exempt de toute imperfection ; ce qui faisait que la mort
de ce jeune prince causait beaucoup plus d'indignation que de pitié.
J'ai cru lui devoir donner quelque faiblesse qui le rendrait un peu
coupable envers son père, sans pourtant lui rien ôter de cette
grandeur d'âme avec laquelle il épargne l'honneur de Phèdre, et se
laisse opprimer sans l'accuser. J'appelle faiblesse la passion qu'il
ressent malgré lui pour Aricie, qui est la fille et la soeur des ennemis
mortels de son père.
Cette Aricie n'est point un personnage de mon invention. Virgile dit
qu'Hippolyte l'épousa, et en eut un fils, après qu'Esculape l'eut
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ressuscité. Et j'ai lu encore dans quelques auteurs qu'Hippolyte avait
épousé et emmené en Italie une jeune Athénienne de grande
naissance, qui s'appelait Aricie, et qui avait donné son nom à une
petite ville d'Italie.
Je rapporte ces autorités, parce que je me suis très scrupuleusement
attaché à suivre la fable. J'ai même suivi l'histoire de Thésée, telle
qu'elle est dans Plutarque.
C'est dans cet historien que j'ai trouvé que ce qui avait donné
occasion de croire que Thésée fût descendu dans les enfers pour
enlever Proserpine, était un voyage que ce prince avait fait en Épire
vers la source de l'Achéron, chez un roi dont Pirithoüs voulait
enlever la femme, et qui arrêta Thésée prisonnier, après avoir fait
mourir Pirithous. Ainsi j'ai tâché de conserver la vraisemblance de
l'histoire, sans rien perdre des ornements de la fable, qui fournit
extrêmement à la poésie ; et le bruit de la mort de Thésée, fondé sur
ce voyage fabuleux, donne lieu à Phèdre de faire une déclaration
d'amour qui devient une des principales causes de son malheur, et
qu'elle n'aurait jamais osé faire tant qu'elle aurait cru que son mari
était vivant.
Au reste, je n'ose encore assurer que cette pièce soit en effet la
meilleure de mes tragédies. Je laisse aux lecteurs et au temps à
décider de son véritable prix. Ce que je puis assurer, c'est que je n'en
ai point fait où la vertu soit plus mise en jour que dans celle-ci. Les
moindres fautes y sont sévèrement punies ; la seule pensée du crime
y est regardée avec autant d'horreur que le crime même ; les
faiblesses de l'amour y passent pour de vraies faiblesses ; les
passions n'y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le
désordre dont elles sont cause ; et le vice y est peint partout avec des
couleurs qui en font connaître et haïr la difformité. C'est là
proprement le dut que tout homme qui travaille pour le public doit se
proposer, et c'est ce que les premiers poètes tragiques avaient en vue
sur toute chose. Leur théâtre était une école où la vertu n'était pas
moins bien enseignée que dans les écoles des philosophes. Aussi
Aristote a bien voulu donner des règles du poème dramatique, et
Socrate, le plus sage des philosophes, ne dédaignait pas de mettre la
main aux tragédies d'Euripide. Il serait à souhaiter que nos ouvrages
fussent aussi solides et aussi pleins d'utiles instructions que ceux de
ces poètes. Ce serait peut-être un moyen de réconcilier la tragédie
avec quantité de personnes célèbres par leur piété et par leur
doctrine, qui l'ont condamnée dans ces derniers temessuscité. Et j'ai lu encore dans quelques auteurs qu'Hippolyte avait
épousé et emmené en Italie une jeune Athénienne de grande
naissance, qui s'appelait Aricie, et qui avait donné son nom à une
petite ville d'Italie.
Je rapporte ces autorités, parce que je me suis très scrupuleusement
attaché à suivre la fable. J'ai même suivi l'histoire de Thésée, telle
qu'elle est dans Plutarque.
C'est dans cet historien que j'ai trouvé que ce qui avait donné
occasion de croire que Thésée fût descendu dans les enfers pour
enlever Proserpine, était un voyage que ce prince avait fait en Épire
vers la source de l'Achéron, chez un roi dont Pirithoüs voulait
enlever la femme, et qui arrêta Thésée prisonnier, après avoir fait
mourir Pirithous. Ainsi j'ai tâché de conserver la vraisemblance de
l'histoire, sans rien perdre des ornements de la fable, qui fournit
extrêmement à la poésie ; et le bruit de la mort de Thésée, fondé sur
ce voyage fabuleux, donne lieu à Phèdre de faire une déclaration
d'amour qui devient une des principales causes de son malheur, et
qu'elle n'aurait jamais osé faire tant qu'elle aurait cru que son mari
était vivant.
Au reste, je n'ose encore assurer que cette pièce soit en effet la
meilleure de mes tragédies. Je laisse aux lecteurs et au temps à
décider de son véritable prix. Ce que je puis assurer, c'est que je n'en
ai point fait où la vertu soit plus mise en jour que dans celle-ci. Les
moindres fautes y sont sévèrement punies ; la seule pensée du crime
y est regardée avec autant d'horreur que le crime même ; les
faiblesses de l'amour y passent pour de vraies faiblesses ; les
passions n'y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le
désordre dont elles sont cause ; et le vice y est peint partout avec des
couleurs qui en font connaître et haïr la difformité. C'est là
proprement le dut que tout homme qui travaille pour le public doit se
proposer, et c'est ce que les premiers poètes tragiques avaient en vue
sur toute chose. Leur théâtre était une école où la vertu n'était pas
moins bien enseignée que dans les écoles des philosophes. Aussi
Aristote a bien voulu donner des règles du poème dramatique, et
Socrate, le plus sage des philosophes, ne dédaignait pas de mettre la
main aux tragédies d'Euripide. Il serait à souhaiter que nos ouvrages
fussent aussi solides et aussi pleins d'utiles instructions que ceux de
ces poètes. Ce serait peut-être un moyen de réconcilier la tragédie
avec quantité de personnes célèbres par leur piété et par leur
doctrine, qui l'ont condamnée dans ces derniers temps et qui en
jugeraient sans doute plus favorablement, si les auteurs songeaient
autant à instruire leurs spectateurs qu'à les divertir, et s'ils suivaient en cela la veritable intention de la tragedie
Janvier 2025
Se pourrait-il qu'un tableau célèbre - dont la signature présente une anomalie chromatique - soit l'unique oeuvre qui nous reste d'un des plus grands peintres de la Renaissance vénitienne : un élève prodige de Titien, que lui-même appelait "le Turquetto" (le petit Turc) ?
Metin Arditi s'est intéressé à ce personnage. Né de parents juifs en terre musulmane (à Constantinople, aux environs de 1519), ce fils d'un employé du marché aux esclaves s'exile très jeune à Venise pour y parfaire et pratiquer son art. Sous une identité d'emprunt, il fréquente les ateliers de Titien avant de faire carrière et de donner aux congrégations de Venise une oeuvre admirable nourrie de tradition biblique, de calligraphie ottomane et d'art sacré byzantin. Il est au sommet de sa gloire lorsqu'une liaison le dévoile et l'amène à comparaître devant les tribunaux de Venise...
Metin Arditi dépeint à plaisir le foisonnement du Grand Bazar de Constantinople, les révoltes du jeune garçon avide de dessin et d'images, son soudain départ... Puis le lecteur retrouve le Turquetto à l'âge mûr, marié et reconnu, artiste pris dans les subtilités des rivalités vénitiennes, en cette faste période de la Renaissance où s'accomplissent son ascension puis sa chute.
Rythmé, coloré, tout en tableaux miniature, le livre de Metin Arditi convoque les thèmes de la filiation, des rapports de l'art avec le pouvoir, et de la synthèse des influences religieuses qui est la marque particNé en Turquie, familier de l'Italie comme de la Grèce, Metin Arditi est à la confluence de plusieurs langues, traditions et sources d'inspiration. Sa rencontre avec le Turquetto ne doit rien au hasard, ni à l'histoire de l'art. Car pour incarner ce peintre d'exception, il fallait d'abord toute l'empathie - et le regard - d'un romancier à sa mesure.ulière du Turquetto.
Metin Arditi s'est intéressé à ce personnage. Né de parents juifs en terre musulmane (à Constantinople, aux environs de 1519), ce fils d'un employé du marché aux esclaves s'exile très jeune à Venise pour y parfaire et pratiquer son art. Sous une identité d'emprunt, il fréquente les ateliers de Titien avant de faire carrière et de donner aux congrégations de Venise une oeuvre admirable nourrie de tradition biblique, de calligraphie ottomane et d'art sacré byzantin. Il est au sommet de sa gloire lorsqu'une liaison le dévoile et l'amène à comparaître devant les tribunaux de Venise...
Metin Arditi dépeint à plaisir le foisonnement du Grand Bazar de Constantinople, les révoltes du jeune garçon avide de dessin et d'images, son soudain départ... Puis le lecteur retrouve le Turquetto à l'âge mûr, marié et reconnu, artiste pris dans les subtilités des rivalités vénitiennes, en cette faste période de la Renaissance où s'accomplissent son ascension puis sa chute.
Rythmé, coloré, tout en tableaux miniature, le livre de Metin Arditi convoque les thèmes de la filiation, des rapports de l'art avec le pouvoir, et de la synthèse des influences religieuses qui est la marque particNé en Turquie, familier de l'Italie comme de la Grèce, Metin Arditi est à la confluence de plusieurs langues, traditions et sources d'inspiration. Sa rencontre avec le Turquetto ne doit rien au hasard, ni à l'histoire de l'art. Car pour incarner ce peintre d'exception, il fallait d'abord toute l'empathie - et le regard - d'un romancier à sa mesure.ulière du Turquetto.
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