Haruki
Murakami
« J'étais
un gamin sans histoire issu de la tranquille classe moyenne
japonaise », dit Haruki
Murakami dans un entretien accordé à l'Express près la
parution de « Kafka sur le rivage. »
Dans
son livre « autobiographie de l'auteur en coureur de fond »
- traduction littérale : « ce dont je parle quand je
parle de courir », il parle de lui, de la course et de
l'écriture. Dans les pages 39 à 41, il relate l'idée imprévisible
d'écrire un roman qu'il a eue le 1er avril 1978 :
« Ce jour-là, je me trouvais sur le stade Jingu, seul sur le
terrain, à boire de la bière et à regarder le match...le bruit
aigu de cet impact parfait a résonné dans le stade...et c'est juste
à ce moment, qu'une pensée m'a traversé l'esprit « tiens et
si j'écrivais un roman ? »
Pour
lui, écrire est un acte physique : « Écrire un
roman revient à escalader une montagne abrupte, qui m'oblige à me
battre face à la falaise et à n'atteindre le sommet qu'après des
épreuves longues et difficiles. Vous êtes vainqueur ou vaincu. Pas
de milieu. Je conserve toujours en moi cette image lorsque j'écris ».
Plus
que le talent, il considère que les qualités essentielles de
l'écrivain sont la concentration et la persévérance.
« la
concentration consiste à retenir profondément son souffle alors que
la persévérance est l'art de respirer lentement, sereinement, en
conservant en même temps l'air dans ses poumons. Tant que vous
n'êtes pas capable de trouver un bon équilibre entre les deux
opérations, il vous sera très difficile d'écrire des
romans de manière professionnelle dans la durée. Continuer à
respirer tout en retenant sa respiration.»
Dans
la nouvelle « Un récit folklorique de notre temps : la
préhistoire du capitalisme à son stade ultime », in
« Saules aveugles, femme endormie », Haruki Murakami, né
en 1949, entré à l'université en 1967 écrit : « on
pourrait sans doute me désigner comme l'archétype parfait d'un
enfant « des années 60 », ... a le sentiment que dans
les années 60, quelque chose de vraiment spécial a existé...tout
était simple, tout était direct. Cause et conséquence, avec
sincérité, se donnaient la main ; thèse et réalité
s'étreignaient le plus naturellement du monde. Et je
crois bien que cette époque fut la dernière où les choses se
passèrent ainsi. »
Mais
s'il était un gamin issu de la classe moyenne, son père était
professeur de littérature, il ne s'est jamais identifié à la
culture japonaise traditionnelle. Dans un entretien accordé au
magazine « Transfuges » en janvier-février 2006, à
l'occasion de la parution en français de « Kafka sur le
rivage », il déclare : « J'étais à la fois un
rebelle et un étranger. Les œuvres de Kawabata et Mishima se
reposaient sur la sophistication, la beauté naturelle du japonais.
Mes romans tiennent avant tout à mes histoires. »
« Je
suis un conteur d'histoires. On lit mes livres en Chine, en Corée ou
en France : une bonne histoire est une lingua franca qui dépasse
les cultures, qui ouvre un passage en vous-même, quitte à vous
mener dans des lieux obscurs et douloureux. »
Kafka sur le rivage
Ce roman illustre peut-être plus que « 1Q84 », « La fin des temps », « Chroniques de l'oiseau à ressort » les qualités de conteur d'histoires de Haruki Murakami.
Un adolescent, Kafka Tamura quitte le domicile paternel dans l'arrondissement de Nakano à Tokyo : « Le jour de mes quinze ans, je ferai une fugue, voyagerai jusqu'à une ville inconnue et lointaine, trouverai refuge dans une bibliothèque. ». Il trouve que « tous [ses] camarades ont des dents bien alignées, portent des vêtements impeccables et sont d'un ennui mortel. ». Il veut fuir une malédiction œdipienne proférée par son père, un sculpteur de renom.
Un vieil homme, Nakata, habitant lui aussi l'arrondissement de Nakano à Tokyo, est handicapé mental et vit d'une pension que lui verse le préfet. Il sait parler aux chats et rend des services au voisinage en retrouvant des chats égarés. « Nakata gardait secrète son aptitude à parler aux chats.s'il avait dit à quelqu'un, on l'aurait cru dérangé. Évidemment tout son entourage savait qu'il n'était pas très malin mais ce n'était tout de même pas pareil qu'être pris pour un fou ! ».
L'adolescent et le vieil homme sont les deux personnages principaux du roman. Tous les chapitres pairs sont le récit du voyage de Kafka et sont écrits à la première personne. Tous les chapitres impairs sont consacrés à la vie de Nakata et sont écrits à la troisième personne. Une exception : deux chapitres, non numérotés, en pages 5 et en page 589 lorsque s'exprime le garçon nommé corbeau, qui est le double de Kafka. Cette construction narrative, déjà utilisé dans « la fin des temps » sera reprise dans « 1Q84 » avec l'histoire de Aomamé et de Tengo.
« Pour écrire des romans contenant plusieurs voix, j'étais dans l'obligation de pouvoir utiliser efficacement la narration à la troisième personne. »
Deux personnages secondaires ont un rôle important dans la progression du récit
- Oshima, employé de
la bibliothèque et qui va devenir le mentor de Kafka,
hermaphrodite, homosexuel, hémophile,
- Hoschino, jeune
chauffeur routier va aider Nakata analphabète, qui obéissant à un
appel impérieux, veut accomplir un voyage et une mission dont il
ignore tout.
Deux personnages féminins :
- Mademoiselle
Saeki, la propriétaire de la bibliothèque, et peut-être la mère
de Kafka et qui apparaît soit comme la jeune fille de 15 ans
qu'elle était lorsqu'elle était amoureuse de Kafka ; ce
dernier a été assassiné pendant les événements étudiants de
1968, soit comme la femme de 50 ans, qui, après s'être
« évaporée » pendant 25 ans est revenue diriger la
bibliothèque familiale.
- Sakura, une jeune
fille chez qui séjourne Kafka Tamura pendant quelques jours et qui
serait peut-être la sœur de Kafka.
Deux personnages de publicité :
- Johnny Walker :
le whisky a dépassé le saké au Japon ! Mais surtout la
personnification du mal. Probablement inspiré par Nicolaï
Stavroguine des « Possédés » de Dostoïevski considéré
par Murakami comme la « plus aboutie description
littéraire du mal. ».
- colonel Sanders :
personnage qui aide Nakata et Hoschino dans leur recherche de la
pierre et les soustrait aux recherches de la police.
Des personnages qui aident Nakata analphabète : les chauffeurs, les employées de bureau...Une prostituée férue de philosophie qui explique Bergson à Hoschino, un patron de bar qui fait découvrir Beethoven à Hoschino...
Quelques symboles dans l'univers imaginaire
- Le crâne :
- Le sommeil et le
rêve
- Les chats
« Le chat » de Soseki, un des rares auteurs japonais qu'apprécie vraiment Haruki Murakami « seul auteur japonais dont il ait lu, avec bonheur, l'intégralité de l’œuvre ».
- L'ombre
Quelques références au passé du Japon
Dans les œuvres romanesques de Haruki Murakami, il y a très peu de références à l'histoire japonaise, sauf dans « Chroniques.de l'oiseau-à-ressort » où il est fait état du conflit sino-japonais, des camps de prisonniers en Sibérie, de la contre-offensive sino-japonaise de 1945 qui forcera les colons japonais à évacuer la Chine. (sources citées en fin du roman).Dans « La course au mouton sauvage », le docteur es-mouton a séjourné en Mandchourie pendant la guerre en qualité de haut fonctionnaire de l'agriculture et s'est fait posséder par le mouton, qu'il a ramené au Japon et que celui-ci a quitté.
Dans « Kafka sur le rivage », la dernière guerre est évoquée avec l'incident fictif dans la préfecture de Yamanashi et dans la conversation entre Nakata et Hoschino où ce dernier est dans l'ignorance de ce passé : « --A cette époque, le Japon était occupé par l'Amérique...--arrête ton char ! --Pourquoi l'Amérique aurait-elle occupé le Japon ? – C'est trop compliqué pour Nakata... »
Autres univers et autres mondes
- Extraits
d'entretiens de l'auteur
« Je
pense que nous vivons dans un monde, ce monde, mais il en existe
d'autres tout près. Si vous le désirez vraiment, vous pouvez passer
le mur et entrer dans un autre univers. »
dans
un entretien accordé en 2003 au magazine littéraire.
« Je
pense que le contact avec d'autres mondes est de plus en plus
important...c'est pourquoi la lecture est quelque chose d'important :
en lisant, il y a un contact effectif avec de nombreux autres
mondes. »
dans
un entretien accordé au Japon
« La
vérité n'est pas forcément dans la réalité, et la réalité
n'est peut-être pas la seule vérité. » Chroniques de
l'oiseau à ressorts
« La
responsabilité commence dans les rêves .» Kafka sur le
rivage
Dans
son livre, Guillaume Le Blanc, philosophe et marathonien «Courir :
méditations physiques » écrit : « Le
coureur est modeste, il sait que sa philosophie de la course ne le
mènera pas très loin, mais il sait aussi que le moment viendra où
il se sentira ailleurs. La course a ceci de bête qu'elle vous fait
penser à ailleurs, alors que vous êtes ici. » « Quand
la course devient extrême, le corps lui-même n'est plus certain
d'exister. »
- le passage d'un
monde à l'autre
Dans
un article consacré à Haruki Murakami, Anne Bayard-Sakai écrit :
« Lire
un roman est sans doute la forme la plus familière du passage des
frontières, de circulation d'un monde à l'autre. »
-
dans « la fin des temps », l'auteur a conçu son roman
comme le plan d'une société en train de se détruire et de se
reconstruire à l'insu de ses habitants dans la mégalopole de Tokyo.
Deux univers décrits : Tokyo et son enfer souterrain, »l
e pays des merveilles sans merci » peuplé de Ténébrides et
la ville « parfaite » « la fin du monde » des
hommes séparés de leur ombre et de leur cœur ;
-
dans « Chroniques.de l'oiseau-à-ressort », le narrateur
descend dans un puits et essaie (et arrive) à traverser la paroi
pour arriver dans un autre monde ;
-
dans « IQ84, » les deux personnages principaux se
retrouvent dans un monde parallèle où il y a deux lunes.
Dans
son enquête faite après l'attaque du métro au gaz sarin à Tokyo,
Haruki Murakami évoque son appétence pour « les mondes
souterrains – les puits, les tunnels...les allées sombres, le
métro...lorsque j'ai appris qu'il y avait eu une attaque au gaz dans
le sous-sol de Tokyo, les Ténébrides me sont venus à l'esprit :
des personnages qui attendaient juste derrière la vitre de mon
métro. »
« Kafka sur le rivage », roman d'apprentissage, roman entre deux mondes
Hoschino, comme Kafka, ont changé :
« En dix jours, j'ai le sentiment de m'être complètement transformé. » Hoschino
« Et quand tu t 'es réveillé, tu faisais partie d'un monde nouveau. » Kafka ; dernière phrase du livre.
Les lecteurs aussi, ont pénétré dans un autre monde et en sont ressortis transformés.
Raymonde Piolat
Son œuvre
Titres des romans |
Édition japonaise |
Édition française |
Écoute le chant du
vent |
1979 |
|
Le flipper de 1973 |
1980 |
|
La course au mouton
sauvage |
1982 |
1990 |
La fin des temps |
1985 |
1992 |
La ballade de
l'impossible |
1987 |
2007 |
Danse, danse, danse |
1988 |
1995 |
Au sud de la
frontière, à l'ouest du soleil |
1992 |
2002 |
Chroniques de
l'oiseau à ressorts |
1994-95 |
2001 |
Les amants du
Spoutnik |
1999 |
2003 |
Kafka sur le rivage |
2002 |
2006 |
Le passage de la nuit |
2004 |
2007 |
1Q84 |
2009-10 |
2011-12 |
L'incolore Tsukuru
Tasaki et ses années de pèlerinage |
2013 |
2014 |
Titres des nouvelles |
Édition japonaise |
Édition française |
L'éléphant
s'évapore (2 récits publiés aussi à part : sommeil et
attaques de la boulangerie |
|
1993 |
Après le tremblement
de terre |
|
2000 |
Saules aveugles,
femme endormie |
|
2006 |
Autres textes |
Édition japonaise |
Édition française |
Underground |
1997-1998 |
2013 |
Auto-portrait de
l'auteur en coureur de fond |
2007 |
2009 |
Deux
films tirés de ses œuvres
-
Tony Takitani par Jun Ichikawa en 2004, nouvelle qui fait partie de
l'édition japonaise et anglaise du recueil « saules aveugles,
femme endormie » mais pas de l'édition française. Elle avait
fait l'objet d'un tiré à part et offerte dans les cinémas et les
librairies à l'occasion de la sortie du film.
-
la ballade de l'impossible par Tran Anh Hung en 2011.
une
pièce de théâtre en français :
-
Nuits Blanches 2014, tiré de la nouvelle « Sommeil ».
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