Marie GOBLOT Sans cesser de s'occuper de l'entreprise familiale de vernis pour les navires, Svevo a écrit solitairement, pendant plusieurs années, publiant à compte d'auteur. Encouragé par James Joyce qui lui apprenait l'anglais à l'école Berlitz, il a poursuivi une oeuvre qui n'a connu le succès qu'avec "Zeno". Svevo connaissait l'oeuvre de Freud: la courte préface du début du roman est signée par le docteur S. (comme Sigmund) et le dernier chapître du livre a pour titre Psychnanalyse. "Grande uomo questo nostro Freud, ma piu per i romanzieri che per gli ammalati", écrivait ironioquement Svevo. Son personnage, soumis à une cure psychanalytique, donne aux lecteurs une foule d'occasions de rire, car Svevo fait de la psychanalyse un usage très ludique. Pour rendre à Svevo l'hommage qui lui est dû, on peut savourer ce qu'un autre grand triestin, Claudio Magris, écrivait en 1997 sur le jardin public de sa ville. Comme dans tout parc qui se respecte, dans le Jardin il y a des hermès et des bustes dédiés aux gloires de la ville dont la réput ation, dans quelques rares cas, a franchi les limites communales et s'est répandue dans le monde Il y a aussi Joyce, avec son chapeau sur la tête et son pince-nez, opportunément placé derrière l'écran géant du cinéma de plein air, comme il sied à sa passion pour le « ciné » - cultivée à Trieste en même temps que beaucoup d au i tres, celle pour les tavernes et pour le dialecte. en si parfaite consonance avec le monologue et 1e mar monnement de ventriloque de l'Histoire. Années de Trieste et d'Ulysse, , les cafés, une ville médiocre, impure et emou vante comme la vie, les cours d'anglais à des emplyés et des commerçants qui ne savaient pas qu'ils suggéraient des visages et des gestes à une odyssée moderne. Le buste le plus surprenant du jardin est celui de Svevo, qui aimait tant ces banc et ces allées où Zeno se promène avac Carla ou Emilio, dans Sénilité , rencontre Angiolina. La réalité et le hasard manifestent une inventivité digne du grand écrivain selon lequel, pour reprendre son expression, la vie est originale. Svevo se trouve non loin de Joyce et de Saba, près du petit lac et de ses rives boueuses. Sur le piedestal de marbre est écrit : « Italo Svevo, romancier, 1861-1928 », mais au-dessus de ce piédestal il n'y a pas de tête, il n'y a que la cheville qui devrait la tenir, et qui ressemble à un cou minuscule Cette tête manquante semble un des nombreux malentendus , erreurs, échecs, déboires et affronts qui constellent l'existence de Svevo, l'écrivain qui a scruté à fond l'ambiguïté et le vide de la vie, voyant que les choses ne sont pas en ordre et continuant à vivre comme si elles l'étaient, dévoilant le chaos et feignant de ne pas l'avoir vu, percevant à quel point la vie est peu désirable et peu aimable et appre nant à la désirer et à l'aimer intensément. Pour ce génie - qui est descendu jusqu'aux racines les plus obscures de la réalité, qui a vu se transformer et se dissoudre toute identité et qui a vécu comme un honorable bourgeois et un bon père de famille - les choses allaient souvent de travers. Il était un "Schlemihl", ce personnage de la tradition juive à qui on met toujours des bâtons dans les roues ; un de ces malchanceux irréductibles dont on dit que, s'ils se mettaient à vendre des pantalons, les hommes naîtraient sans jambes, un de ces maladroits et intrépides collectionneurs de catastrophes qui se relèvent indomptables après chaque culbute. Le parcours de Svevo est tissé d'incidents tragicomiques, depuis l'insuccès de ses premiers romans jusqu'au mépris bienveillant de sa famille, du moins pendant des années, à l'égard de son travail littéraire, depuis la carte par laquelle un des principaux notables de Trieste, à qui il a envoyé La coscienza di Zeno, le remercie pour « votre magnifique roman La coscienza di ferro » jusqu'à tant d'autres marques d'incompréhension, actes manqués, imbroglios burlesques et mélancoliques devenus proverbiaux. Son ceuvre et son existence tournent, sans perdre la capacité d'aimer et de jouir, autour d'absences, de vides vertigineux dissimulés sous un sourire de sphynx, de comiques et tragiques abdications quotidiennes, du manque et du néant de la vie, de la vanité de l'intelligence. L'hermès acéphale est donc approprié et il conviendrait de le laisser en l'état, en tant que monument rappelant dignement la mémoire d'un des grands de ce siècle, ltalo Svevo, le bourgeois juif triestin Ettore Schmitz, à propos duquel on raconte qu'un ancien collègue de bureau, entendant dire qu'il avait écrit des romans, s'était exclamé avec surprise « Qui, ce fada de Schmitz ? Claudio MAGRIS Microcosmes - 1997 Ce qu'en pense Maryvonne NICCOLAI Monsieur SVEVO croit peut-être livrer aux lecteurs un livre sur sa psychanalyse. Malheureusement il confond un récit anecdotique et superficiel avec une recherche souvent douloureuse sur le pourquoi et le comment (déplacement, projection, retournement en son contraire,.. etc). Il ramasse les feuiles mortes à la pelle, certes, mais il ne va pas bêcher la terre sur laquelle elles reposent. Son narcissisme, sa complaisance envers lui-même, finissent par lasser, malgré quelques brèves lueurs d'humour. Ne le comparons pas à Proust du point de vue de la littérature! Séparons plutôt le bon grain de l'ivraie. Amen! Maryvonne NICCOLAI |
"La conscience de Zenon" d' Italo SVEVO le 21 mai 2006
"Le meilleur des mondes" d'Aldous HUXLEY présenté par le Professeur Henri ATLAN le 20 mai 2006
La société est totalement rationnalisée : les individus sont fabriqués artificiellement, dans des cuves, leur programme génétique les destine à une fonction précise dans une catégorie sociale déterminée à l'avance.
Les messages qu'on leur répète pendant leur sommeil les conditionnent. [Par exemple, les Epsilons, la plus basse catégorie d'individu, sont extrêmement heureux de veiller au fonctionnement des machines]. Les sentiments sont neutralisés par une drogue, le soma, qui rend perpétuellement heureux...le sexe est totalement libre, mais l'amour, le mariage et la parenté sont refusés et jugés obscènes. Bref, c'est le meilleur des mondes possibles...
Deux personnages échappent au système : Bernard, un Alpha - la plus haute catégorie d'individu - dont le programme génétique a partiellement échoué. Et John, le Sauvage, qui vivait dans une réserve au Nouveau Mexique, et qui découvre le meilleur des mondes
La spécialité du professeur Henri Atlan s'est d'emblée inscrite dans l'interdisciplinarité entre deux sciences devenues la « bio-physique », conjuguées ensuite à des applications génétiques. Médecin de formation, il devait être animé d'un intérêt de voir appliquer ses recherches.
Henri Atlan est l'un des pionniers des théories de la complexité et de l'auto-organisation du vivant. Soulevant les problèmes fondamentaux touchant la vie et la science, savant et philosophe, connaisseur incomparable de Spinoza, Henri Atlan met en regard la science, les textes bibliques, mythologiques, talmudiques, la philosophie… Révélant une réflexion profonde et originale sur la nature complexe des relations entre la science et l'éthique, sa pensée interroge la compatibilité entre la pensée scientifique, tout entière tournée vers les déterminismes, et la compréhension des complexités, source continue d'indéterminismes. Elle contribue grandement à éclairer les questions de société que soulève le clonage, les découvertes récentes sur les prions, ou la biologie du développement.
Il n'y avait jamais eu autant de monde au Beau-Rivage pour une séance de DireLire, plus de cent personnes et plus de sièges disponibles. Pourtant le démarrage fut difficile, personne ne voulant se lancer face au professeur Henri Atlan. C'est donc lui qui commença à nous entretenir du sujet de son dernier ouvrage," l'utérus artificiel" . Rapidement les problèmes philosophiques prirent le pas sur les considérations scientifiques. A ce propos quelqu'un demanda à Henri Atlan comment coexistait en lui le biologiste et le philosophe, ce à quoi il répondit: "Fort bien, ma foi, le philosophe examine de façon critique le travail du biologiste, mais de manière non conflictuelle".
Pour moi, j'ai beaucoup apprécié les interventions d'Henri Atlan qui tranchaient avec le pessimisme conformiste dont la bien-pensance actuelle nous abreuve à longueur d'articles de presse ou de journal télévisé. Il faut un certain courage aujourd'hui pour afficher un optimisme raisonné et argumenté sur l'avenir de l'humanité.
De manière inattendue dans un débat sur le Meilleur des Mondes, un mot est revenu très souvent dans le débat, la démocratie, dont on s'est plu à souligner tous les travers, les insuffisances, voire pour certains l'hypocrisie, alors que malgré ses faiblesses et même certains de ses dangers, c'est le seul régime possible pour nous éviter le meilleur des mondes ou 1984 et son Big Brother. C'est le poids de la société civile qui peut nous protéger des éventuelles dérives des scientifiques. Les controverses actuelles autour du clonage thérapeutique sont l'illustration de ce que l'évolution vers le Meilleur des Mondes n'est pas inéluctable.
Autre idée reçue sur le réchauffement climatique: faire croire qu'on pourra l'empêcher ou même le ralentir de manière significative est évidemment complètement utopique; on ne pourra pas empêcher le climat de changer et nos efforts doivent être consacrés à nous adapter à ces changements et non à tenter vainement de le contrarier. Nous avons le temps de le faire.
Le temps : une controverse jaillit sur la notion de temps, cinquante ou cent ans est-ce long? Oh non, c'est très court pensait la plupart des auditeurs. Et pourtant, fit remarquer Henri Atlan, replacez-vous cent ans en arrière en 1905 et essayez d'imaginer comme nos grand-parents pouvaient prévoir ce que serait le monde en 2005.
Lorsqu'Henri Atlan évoqua la levée de la double malédiction biblique: tu travailleras à la sueur de ton front, et tu enfanteras dans la douleur, une fois de plus des objections fusèrent. Quelqu'un contesta que la notion de malédiction soit inscrite dans la Bible et là aussi Atlan montra sa connaissance approfondie des livres sacrés du judaïsme, la Torah et le Talmud.
Antoine VIQUESNEL
Ni Huxley, ni Orwell...
"Avec le développement de la société bourgeoise d'abondance, l'obscur horizon du mythe est éclairé par le soleil de la raison calculatrice, sous les rayons d'acier duquel mûrit l'Etat de la nouvelle barbarie." (Adorno et Horkheimer, Dialectique de la raison).
A ceux qui seraient tentés de croire que les prophéties d'Huxley et d'Orwell sont en voie de réalisation, il convient de faire remarquer que le soleil politique placé au centre de la constellation se trouve n'être, en réalité, qu'un simple satellite de l'économie toute puissante devenue folle autour de laquelle ne tourne dans une ronde saugrenue un monde unitaire dont le principe est la séparation.
Et si notre société (historiquement fondée sur la division du travail) fonctionne, certes à coup de matraquage publicitaire de répétition des id&es reçues déversées par les télécrans et de prozac généreusement dispensé par l'industrie pharmaceutique, on est loin de l'harmonie et de la complémentarité des alpha et des epsilon conditionn&s au bonheur pavlovien par l'hypnopédie et le soma, baignant dans la liberté sexuelle et le consensus rose bonbon de la stabilité sociale et émotionnelle.
Si la fin de l'histoire (alors qu'elle n'a pas encore comméncé sous sa forme historique..) de Francis Fukuyama semblent parfois un substtut possible au meilleur des mondes, il convient de remarquer que s'étend sur lui l'ombre inquiétante du choc des civilisations de Samuel Huntington, relayé à l'échelon national par les banlieues de l'Islam de Gilles Keppel; en effet cette société si parfaite (et si parfaitement autoproclamée parfaite) préfère être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats, et on la comprend, car si le danger pour la vache folle d'attraper la grippe aviaire est minime, la contamination des boîtes à neurones par la décadence de la logique est généralisée.
Et quand les banlieues se paient un feu d'artifices et le lumpenprolétariat (que dèjà en leur temps Marx et Engels qualifiaient de racaile) sort de sa réserve, les images qu'on en tire fournissent à la fois de la marchandise et de l'idéologie; rien ne se perd, rien ne se crée, tout se récupère.
Big Brother n'est que le contremaître du monde et 1984 est déjà derrière; Mustapha Menier est aux abonnés absents, le soft despotisme n'est en effet éclairé que par le soleil de la raison marchande, et le sauvage joue sur la dialctique de la carotte spectaculaire et du bâton policier. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Possible...
Claude SIMONNOT
Le point de vue d'une autre lectrice, Andrée CORSE
Le ton est donné dès le départ : Les hommes vont-ils détruire l'HOMME (sans oublier sa part féminine , car l'utérus…..,) L'arme du crime ? La technique, fille de la science qui sait transformer et utiliser la matière. La victime ? Un concept issu de l'aventure de la conscience dans la matière qui s'interroge sur elle-même depuis pas mal de temps.
A une question (presque) angoissée : les études du scientifique quant aux réalisations techniques envisageables à plus ou moins longue échéance, ne sont-elles pas objet d'un conflit avec la pensée du philosophe ?
La réponse est claire et rapide : non. Henri ATLAN n'est habité d'aucun conflit dans ses recherches ; l'étude des civilisations dans leurs diversités, leurs traditions, leurs mythes, leurs textes fondateurs, le monde des mystiques, de la psychanalyse et même de la magie sont pourtant pour lui l ‘objet d'une vaste érudition et d'une investigation jamais tarie, mais. il nous invite dans ses ouvrages à ne pas faire des connaissances acquises, qu'elles émanent de la raison, des régions plus profondes de l'être, ou de notre vécu (à l'intérieur de chacun ou à l'intérieur d'un groupe social) des objets de Foi mais des grilles de connaissance particulières et relatives, et des possibilités d'action
.Des deux systèmes de connaissance à notre disposition, l'un, est dit « irrationnel » (mais il a sa logique, et son mode d‘action,) ; il est tourné vers l'intérieur : c'est celui du symbolique, des affects, des fantasmes, de l'Art, de la poésie, L'autre est dit est « rationnel » (présent surtout dans le monde occidental ) à base de séparation , d'identité, de tiers exclus, déterminé par la causalité ; il est tourné vers l'extérieur et l‘action sur la matière. A travers les formulations mathématiques nous est révélé un monde qui échappe à toute information de nos sens et à nos représentations, mais pas à notre action. L e vivant n'a pas échappé à son emprise.
L'utérus artificiel et le clonage humain ont occulté , au moment où ils ont été évoqués, les apports miraculeux de la médecine et l‘amélioration des conditions de vie …des hommes ; nous pensions à des monstres et à une vie figée, mécanisée, détruite.. La littérature fantastique venait de faire intrusion.
L'éthique du philosophe n'est sans doute pas d'être un imprécateur dans l'inconnaissance où son érudition l'invite à se situer, mais plutôt de guider la collectivité en l'aidant à se libérer des effrois fantasmatiques, des habitudes de penser, tout en préservant des modes de vie et des valeurs, qui pour n'être pas des VERITES n'en sont pas moins des cadres de vie (provisoires ?) solides, protecteurs des individus surtout parmi les plus vulnérables…
La corruption des scientifiques, des politiques, par l'argent ou par la vanité ? quel naïf niera que toutes les sociétés vivent en symbiose avec elle depuis toujours, quel pessimiste affirmera qu'elle en gangrène la totalité, quel utopiste dira qu'il existe un système susceptible de l'éviter totalement …. et ne se sentira pas quelque part un (mini ?)-corrompu potentiel ?
Nous avons l'expérience des dangers qu'entraîne un enchevêtrement des grilles de connaissance : quand le rationnel devient irrationnel dans les idéologies totalitaires ; quand l'irrationnel dérape dans le rationnel aux mains des faiseurs de dogmes qui tuent , le LIVRE (qu'ils ne savent pas lire) à la main.
Dans un autre cadre, peut-on évoquer ce que deviennent les particules que personne n'a jamais vues, sous le regard d'un HOUELLEBEC, écrivain à la triste figure, qui trace pour l'avenir une courbe droite et sans déviation possible vers la mort .. de l‘HOMME bien sûr ?
Ou bien que devient la mystique aux mains des scientifiques devenus spiritualistes qui décrètent avec une interprétation ciblée de la pensée orientale, que ces mêmes particules élémentaires sont si étranges qu'un « principe premier » peut être , ... ah bon ? Vous croyez ?
En l'absence (provisoire ou définitive) de la « réalité ultime unifiée» qui nous tenaille dont l'HOMME est le support (et qui revient actuellement parmi certains chercheurs sous la forme du « dessein intelligent»), sommes-nous condamner à boiter ? Boitons, plutôt que de « militer » pour ou contre des fantasmes… rien ne nous empêche d'appeler cela une danse. ( aie !... macabre ? entend-on quelque part…).
Merci à Henri ATLAN de dévoiler pour nous une pensée rigoureuse, responsable, vaste et vivante qui ouvre, sans jamais en refermer aucune, toutes les portes des « très sérieux » JEUX de la connaissance, jubilatoires et…. tragiques, car le monde, lui, s'il se contorsionne sous nos filets d'interprétation, de temps en temps, passant à travers les mailles …..
Andrée CORSE
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