Delire D'amour (Ian McEwan )

                                 ANALYSE D’OUVRAGE  de Delire D'amour de Ian McEwan
Titre: Délire d‘amour  (Enduring Love) Traduction de l‘Anglais par Suzanne MayouxEditeur Gallimard Date de 1ére Edition .en France .1999 Pages:308 , avec 2 Appendices
AUTEUR  Ian Mc EWAN
Ian Mc Ewan est né en 1948 à Aldershot en Angleterre.Il vit à Londres et est considéré comme l‘un des écrivains les plus doués de sa génération.Il a une proximité d’écrivain avec Jonathan Coe, Nick Hornby , David Lodge, Jane Austen, Kate Atkinson. Son style est caractérisé par la concision, l‘humour, le jeu avec l‘énigme policière. Il publie un premier recueil de nouvelles  qui obtient le prix Somerset Maugham en 1976 . Viendront ensuite  pour l’essentiel L’enfant volé en 1987, Prix Femina 1993, Délire d’amour en 1997, Amsterdam en 1998 (Booker Prize) , Expiation (2001) , Saturday(2003), Sur la plage de Chesil (2008) , Solaire (2010)
RESUME DE L’HITOIRE ET PRESENTATION DES PERSONNAGES
 Joe Rose est un journaliste scientifique à succès heureux en ménage avec Clarissa , spécialiste du poète romantique Keats Un accident de montgolfière  met Joe en présence de Jed Parry, un jeune homme un peu illuminé  qui sous l’emprise du syndrome de Clerambault, tombe amoureux de lui, avec une forte connotation religieuse Joe le rationnel rejette sèchement cet amour, ce qui conduira Jed à une tentative de meurtre. L’histoire comporte quelques personnages secondaires un peu loufoques  comme la  femme jalouse et les 2 enfants charmants de John Logan (le mort dans l’accident de ballon), ainsi qu’un original couple d’autostoppeurs.
REFLEXION SUR  LIVRE
 Le titre anglais de « Délire d’amour » est « Enduring Love » , que l’on peut traduire par Amour Tenace (Harraps) ou  Durable (Google). Le sujet du livre est effectivement Comment parvenir à un Amour tenace, durable , qui vous comble. Pour Jed Parry  tout se passe dans un univers mystique , ou Joe , le Christ et lui même ne font qu’un.  Il est en plein Délire d’amour. Mais il n’est pas si loin de l’amour  passion.de tout un chacun. Combien de fois ne nous retrouvons pas à croire que les gestes signifient plus que les mots, qu’il y a une signification profonde dans chaque chose, et que l’être aimé peut nous parler par signes.
Joe le journaliste scientifique est à l’opposé de cet  univers irrationnel et fera tout pour contrer Jed et pour reconquérir Clarissa  avec des arguments rationnels et scientifiques. Mais ce faisant il poussera Jed  au meurtre et Clarissa à la rupture. Il veut notamment démontrer que Jed est sous l’emprise du syndrome de Clerambault
L’HISTOIRE
Introduction
Le livre se lit comme un roman policier avec un suspense très bien mené qui nous conduit dans toutes sortes d’univers, comme par exemple celui des « dealers intellos », de vieux hippies assez burlesques qui arrivent à la fin de l’histoire , alors que tout s’assombrit.
Mais l’histoire peut aussi se lire comme un conte moral, ou philosophique Joe Rose sème le récit de brillantes démonstrations scientifiques sur tous les sujets (le telescope Hubble, la conscience chez l’animal, le développement évolutionniste  du sourire chez le nourrisson,   etc….). Sans doute fait-il cela pour assoir sa position rationaliste face à l’envahissement  de l’amour mystique de Jed, et pour être pris au sérieux aussi bien par sa femme Clarissa qui s’éloigne de lui que par la police qui ne le croit pas lorsqu’il se plaint de harcèlement . Jed de son côté même s’il est en plein délire,  peut être très convaincant et émouvant lorsqu’il parle de sa foi (p.186)


L’histoire chapitre par chapitre.
 Agenouillés dans l’herbe, Clarissa et Joe s’apprêtent à ouvrir une bonne bouteille pour fêter leurs retrouvailles, mais un cri doublé d’une plainte d’enfant marque le début d’un drame. C’est là qu’est plantée l’épingle sur la carte du temps
Un accident de montgolfière va causer la mort d’un homme, John Logan, impuissant à retenir seul un ballon qui s’envole avec un enfant. Suspendu dans les airs à une corde, il finir par lâcher et tombe de plus de 300 m. Les sauveteurs, dont un certain Jed Parry, ont abandonné leur corde l’un après l’autre, ce qui pose évidemment le problème de la responsabilité.de chacun dans la mort de Logan (p.29 ) Notre groupe revécut ce dilemme antique et insoluble de la morale : nous , ou moi » (Chap.1)
Jed propose à Joe de prier auprès du corps, mais Joe répond sèchement qu’il n’y a personne au ciel pour écouter. (Chap.2)Rentrés chez eux, Joe reçoit un appel téléphonique de Jed , qui lui dit » Je comprends ce que vous éprouvez , et j’éprouve la même chose .Je vous aime »(Chap.3)
Joe se réfugie dans le travail et dans l’amour avec Clarissa, mais il se sent suivi (Chap.4.5). Joe finit par informer Clarissa de l’existence de Jed, et celle -ci n’y accorde pas une grande importance (Chap.6)
Joe finit par accepter de rencontrer Jed, sous l‘influence de Clarissa.. Jed s’avère être un jeune mal dans sa peau qui pourrait être le fils de Joe Il lui réitère son amour, lui disant que le Christ est en lui et que c’est à lui de le ramener au Christ.(Chap.7)
 Joe se réfugie dans son travail de vulgarisateur scientifique avec une brillante étude sur le sourire des nourrissons (p.98/101), mais pendant ce temps Jed appelle 29 fois sur le répondeur  et Joe réalise (p.103) que l’histoire a un nouveau point de départ ,car il est maintenant embringué dans une histoire avec Jed. (Chap.8)
 Une première scène oppose Joe et Clarissa qui lui reproche de faire une fixation exagéré sur Jed.  Joe part en claquant la porte.(Chap.9)
A peine sorti de chez lui , Joe rencontre Parry en plein délire de persécution et d’amour qui lui dit « Allez-vous me laisser tranquille avec tous vos signaux » et cela évoque quelque chose  pour Joe. (Chap.10)
 Jed écrit à Joe pour lui demander de vivre avec lui, dans la belle maison dont il a hérité, et le remercie des signaux qu’il lui a laissés en touchant les feuilles de la haie (Chap.11).
Joe s’interroge sur les raisons qui poussent Clarissa à ne pas le croire, et il fouille dans son bureau, sans rien trouver (Chap.12) Il va voir Mme Logan, la veuve de l’homme mort dans l’accident, qui lui fait part de ses soupçons de jalousie, après avoir  découvert dans la voiture un foulard imbibé d’eau de rose (Chap.13) Grâce aux jeux des enfants de Mme Logan  Joe reconnait les signaux que Parry croit percevoir comme les symptômes du syndrome de Clerambault. Il va pouvoir faire des recherches.(Chap.14)
La situation se tend , aussi bien entre Joe et Jed, qu’entre Joe et Clarisssa.(Ch.15) . Jed envoie à Joe une lettre relativement sensée de son point de vue où il expose sa foi face à la rationnalité de Joe(Chap.16)
Jed devient de plus en plus menaçant (Chap.17) et  Joe ne peut compter que sur lui-même pour rétablir la situation  car  Clarissa le prend maintenant pour un fou, et la police pour un demeuré.(Chap.18)
Après avoir échappé à une tentative de meurtre dans un restaurant,(Chap.19) il part à la recherche d’un pistolet et se replonge dans des milieux qu’ils avaient approché autrefois ce qui nous vaut quelques scènes assez drôles, la vie d’un malfrat qu’il a connu naguère (Johnny B.Well), ou encore les bienfaits de l’alcool.(Chap.20) Un chapitre entier est consacré à une visite de Joe et Johnny.B.Well  à de vieux hippies qui détiennent un vieux pistolet, et on est en plein délire.(Chap.21)
Mais Jed se manifeste, il est chez Clarissa, qu’il menace d’un couteau. Joe lui tire dessus, sur le côté.(Chap.22)
 L’histoire se termine et Clarissa écrit une longue lettre à Joe  où elle reconnait qu’il a eu raison sur toute la ligne, mais où elle lui reproche d’avoir poussé Jed au meurtre en refusant tout dialogue avec lui.(Chap.23) Finalement, tout le monde se réunit pour un pique-nique chez les Logan et les choses semblent prendre la voie de l’apaisement , grâce aux enfants de Mme Logan qui réunissent Joe et Clarissa et aussi grâce au couple d’autostoppeurs que John Logan avait pris avec lui en voiture et qui rassurent donc sa femme sur la présence d’une femme le jour de l’accident. .(Chap.24)

Appendice 1 Un extrait de la Revue britannique de psychiatrie  est donné, sur l’obsession Homo-érotique à connotations religieuses.
Cette étude, présentée par les Docteurs Wenn et Camia  (anagramme de Ian Mc Ewan) reproduit un cas scientifiquement éudié qui s’avère strictement semblable à celui développé dans le livre . On se trouve encore devant une manifestation du goût de la plaisanterie de Ian Mc Ewann.

Annexe 2  Lettre écrite à M.J.Parry vers la fin de sa 3° année d’internement
Cette lettre nous montre un Jed Parry toujours amoureux de Joe dans le Christ, et qui lui envoie une lettre d’amour par jour.
                               
                                            Arnaud Vignon

A propos de "Delire D'amour " de Ian McEwan .

Le syndrome d'érotomanie est une passion amoureuse morbide délirante dont le tableau typique a
été magistralement décrit par Clérambault dans les années 20.
Il se déroule typiquement en 3 temps :amour ,dépit,rancune.
Le primum movens est le Postulat : c'est l'Objet qui focalise le délire généré par 3 facteurs:l'orgueil
le désir le plus souvent platonique et l'espoir , tous facteurs modulés par le caractère du sujet.
-L'orgueil fait choisir un objet haut placé , symbole d'autorité de prestige (médecin,prêtre,voir
Prince de Galle) : c'est LUI qui a commencé et du jour au lendemain a choisi le sujet qu'il aime
passionnément ,qu'il protège,sollicite en permanence,à qui il envoie des messages codés,par des
gestes ,des regards ,de l'indifférence feinte;son comportement est souvent paradoxal mais le sujet
sait très bien décrypter le vrai sens celui de l'amour.D'ailleurs cette supposée passion bénéficie de
la sympathie de tous et l'Objet ,même marié, est en fait tout à fait libre et le conjoint ne compte
pour rien.
- Suit la période d'amour où le sujet harcèle de plus en plus l'Objet de lettres,coups de
fil,rencontres,toute réponse quelle qu'elle soit faisant litière au délire.La marque passionnelle du
délire explique le comportement hyperactif,tenace,continu du sujet fixé sur un but unique et total
dès le début.
-Suit une phase de dépit,devant l'échec répété des manoeuvre mais encore habitée de l'espoir
entretenu par l'interprétation délirante des attitudes de l'Objet : c'est là le symptôme finalement le
plus pérenne de la maladie qui ressurgit en permanence ; même dans la dernière phase de rancune et
de haine il est prêt à tout moment à réapparaître.
Ce syndrome intéresse le plus souvent un isolé social,une femme jeune (80 à90 %) qui manifeste le
plus souvent une passion hétérosexuelle. Parfois il s'agit d'un homme et rarement d'une passion
homosexuelle , la conjugaison de ces deux facteurs étant une marque de gravité,l'affaire se
concluant volontiers par un suicide ou un crime.
Cet état partage avec la passion amoureuse normale des caractères communs ,banaux , ce qui rend
sa mise en évidence difficile au début pour la victime , tout le temps souvent pour l'entourage ,et
aussi parfois pour le psychiatre :
--quoi de plus connue que la fusion/confusion totale des affects , des pensées,des réactions ,des
goûts ,cet état de plénitude absolue sans mot pour le dire -et à quoi bon!- lors du bien connu et lui
aussi brutal « coup de foudre »:mais il s'agit d'un couple consentant... jusqu'au coup de tonnerre où
se délite plus ou - dans les meilleurs cas moins - le bloc des illusions.
--quoi de plus connue que la passion non partagée ,le grand amour malheureux : mais là pas de
postulat,l'Objet n'est pas amoureux,on ne l'intéresse manifestement pas,la passion triste devient vite
inactive,le conjoint est un vrai obstacle,et tout s'estompe un jour ,l'espoir aussi.
Ce délire passionnel morbide, spécifique se distingue aussi des autres délires interprétatifs (de
jalousie , de revendication de persécution...).
Là le début est dans un passé indéfini ,ancien. Hostile d'entrée ,l'interprétation des évènements est
polymorphe,extensive, recrutant de nombreux objets, irradiante bien au delà d'un but unique et
précis;délire introverti non actif ,rétrospectif ilest accompagné du sentiment de conspiration ou au
contraire de toute puissance; a contrario le délire passionnel mono-maniaque laisse toute latitude à
la vie normale de se dérouler dans ses activités et ses autres relations sociales.
Mais comme la plupart des psychoses délirantes elle n'a pas de fin et perdure tenace (37 ans).
Passion amoureuse délirante et revendicatrice , elle peut être « pure » ou entachée d'autres
symptômes morbides et apparaître alors à titre inaugural ou venant s' ajouter dans l'évolution d'une
psychose hallucinatoire et/ou paranoïaque.
Gaetan Gratian de Clérambault né en 1872 Bourges père fonctionnaire (Descartes) mère famille
noble ( Vigny ) catholique sulpicienne ,soeur ainée de 2 ans ,frère cadet Roger ??
Dépression grave :reste alité pendant 2 ans à la suite de la mort de sa soeur à l'âge de 7 ans; ,
intelligence précoce, éducation religieuse ++, poète.
Etudie arts ,puis Droit ,enfin médecine /psychiatrie:affecté à l' Infirmerie Spéciale Préfecture Police
Paris 1905-1934 :activité de médecin certificateur :réceptionne tous les agités délirants violents
pour appliquer ou non la loi du 30 juin 1838 .Depuis 1871 c'est le Dépôt qui reçoit ces malades
séparément des « droits communs » , dans 18 cellules , soit 2000 passages par an. 13000 certificats
détaillés,précis , témoignant d'un souci de rigueur scientifique au profit d'une science
anthropologique et (Lombroso 1835-1909, pb de la gestion pénale des perversions récidivantes)
criminologique --des « espèces mentales « .
C'est le XIX° positiviste qui veut substituer la maladie à la culpabilité religieuse ou à la faute
philosophique et qui a introduit dans le code les circonstances atténuantes .
Et le Savant doit garder la distance pour reconnaître les phénomènes et les classer (cf
entomologiste)(1à l'inverse de Freud).Savant de la lecture de l'image « en soi » ( qui n'est pas la
métaphore onirique du langage de Freud).
Il décrit des syndromes originaux (« Passion érotique des étoffes chez la femme » ,fétichismes ,
1919 :Automatisme mental,1921: Erotomanie) grâce à une méthode d'investigation plus rusée
qu'inquisitoire, alliant « coup d'oeil photographique » et manipulation verbale .
Séances (cf Charcot)du vendredi devant un public de médecins ,juristes ,et étudiants subjugués par
l'élégance mathématique de ses démonstrations.Lacan dira de lui: »ce fut mon seul maître ».Plus
que d'écouter,il met en scène ,joue de complicité avec le malade,d'ambivalence,s'efforce de
l'émouvoir pour déclencher le débordement des symptômes.
Il traque mais ne traite pas.
Mais pas que cela : engagé en 14-18 à l'âge de 42 ans , conduite héroïque ,blessé 2 fois ( front et
Dardanelles) convalescence au Maroc où se passionne pour le drapé,la photographie (40000 clichés
redécouverts et publiés dans les années 80) :énigme du voile qui révèle et cache,suggère en
dissimulant,vit à la place du corps , garde son secret comme les yeux dissimulés dans la fente noire
et opaque :qui voit qui?qui regarde qui?
Cette passion du drapé le mène à donner pendant 3 ans des cours à l'Ecole des Beaux Arts à Paris.
Il systématise de façon obsessionnelle l'appui ,le tombé,les retours ,la texture des tissus et il n'ignore
rien des différents points d'ourlet,des fibules et des noeuds d'arrêt des tissus .
Apprend l'arabe... et passe 3 ans de siestes torrides avec 2 ou 3 demoiselles à la fois !
Se fait sculpter une stèle funéraire(poème en arabe sur la vanité) enfin mise en place sur sa tombe
en 1991.
Pour le reste célibataire endurci, rapports quasi hostile avec sa mère à qui il envoie chaque année
un cadeau le jour de son propre anniversaire,rapport inexistant avec son frère,des amis qu'il reçoit
chez lui, toujours séparément les uns des autres,
Opéré de la cataracte en 1933 -avec succès- termine de façon très déterminé sa vie (1934) en se
suicidant après l'avoir essayé dans son jardin avec son revolver ,assis devant son miroir au milieu
de ses poupées de cire: scandale parisien. Kessel intervient mais la mémoire publique efface
quelque peu la mémoire du personnage sulfureux.
Personnalité complexe ,protéiforme,multiple,un passionné qui se veut sans passion ,voyeuriste
introspectif.
On a ergoté sur son suicide pour le normaliser
:::ennuis d'argent
:::le contact des malades l'a contaminé - son prédécesseurs disait-on l'avait été qui
avait fini sa vie interné !
:::trouble de la vue intolérable pour ce « voyant/voyeur »( perte du relief,doubles
lunettes??)
::: Peut être et plus sûrement blessure narcissique pour qui a fait son temps :il tombe
du piédestal public d'où il contrôlait l'Autre-les autres ,dont il supportait mal la contestation :
« je suis un paranoïaque » se plaisait-il à dire de lui-même.
(: Lacan bien que lui rendant hommage mais le revendiquant au même niveau que d' autres
psychiatres déclenche de sa part un éclat public de fureur disproportionné).
((((Il a ignoré Freud , rebuté peut être par l'introspection qui fait perdre la distance froide entre le
savant positiviste et son objet ,et/ou « l'attention fluctuante « complètement étrangère à son
systématisme nosologique radical.
Refus de la psychogénèse pour expliquer les symptômes qui ne sont pour lui que l'expression du
noyau dur automatique archaïque niché dans la conscience et commun au psychisme humain: mais
les patients étaient dissemblables: Freud s'occupait de névrosés bourgeois (lapsus,actes
manqués...), quand lui se colletait avec les psychotiques agités du Dépôt !
Lacan qui disait de lui: « il fut mon seul maître « a cru cependant devoir faire sa place à la
conception de Gratian– qu'il a toujours prénommé Georges sans raison connue - quant à
l'automatisme mental en démontrant que les déformations linguistiques des automatismes verbaux
pouvaient déclencher les phénomènes psychotiques « du dehors » et d'où le psychogène était
exclus)))).
:::la nouvelle génération de l'école psychiatrique de Sainte Anne avec Lacan ,Ey inclue
dans sa réflexion les sciences humaines ,la philosophie ce qui le laisse sur le bord du chemin avec
son grand herbier nosologique un peu poussiéreux.
Il mesurait 1,57m.
                 Gilbert Lehmann

Atiq Rahimi (compte rendu de Gilbert Lehmann )

                                Terre et cendres Atiq Rahimi 1996
Un vieil homme avec son petit-fils ,assis près d'une guérite dans un paysage aride et désolé de
montagne , sur le pont d'une rivière à sec attend un véhicule qui pourra les amener auprès de son fils
qui travaille dans la mine de charbon , pour lui annoncer la destruction de leur village et la mort de
la famille sous les obus d'un char ennemi.
Rencontre redoutée car de quelle manière le dire à ce fils fier et violent, trop prévisible?
… mais finalement il n'y aura pas de rencontre au bout de la route.
Avec un style haché,sec,concis,dégraissé ,c'est l'écriture « à l'os » d'une histoire minimale ,le roman
de la perte, du désarroi et de l'humiliation d'un vieillard victime collatérale de l'éternelle guerre
afghane mais bouleversante parce qu'elle traite des universaux de l'âme humaine utopiques et uchroniques.
La soudaine violence guerrière, l'irruption du chaos suspendent le temps, le sens , le jugement
quand la jeune mère , la hammam détruit, court nue dans la rue en riant avant de se jeter dans les
flammes, : irruption de l'impensé,de l'informe,mélange de l'horreur ,de la beauté et de la honte pour
le beau-père qui regarde.
Il est dépossédé des choses – le village,la maison – , des gens -les siens morts écrasés sous les
décombres, mais aussi les survivants qui ne lui répondent plus ,y compris son petit-fils isolé des
autres car devenu sourd par les déflagrations du char qui a dit-il enlevé la vie à ceux qui parlent et
la voix au survivants.Et Dieu lui même a dû l'abandonner ,blasphème-t-il.
Il ne lui reste que des reliques,fils ténus qui le rattachent au souvenir de sa femme -le « gol-e-seb »
le foulard qui retient son parfum – et à son fils -la boîte à naswar que celui-ci lui a donnée jadis.
Il est surtout dépossédé de son être ,de cette identité fondée au plus profond sur la filiation , la
généalogie :tout est bouleversé ,il n'y a plus de temps,le fils tue le père et prends la mère.Il n'y a
plus de récit ,c'est la régression illustrée dans ses cauchemar où il se retrouve nu, incontinent,
impotent, mari et fils de sa femme, fils et père de ses enfants dont les sexes s'indéfinissent.
Les étrangers qu'il sollicite de ses questions et de ses demandes l'humilient et contribuent à le
dé-soler et le réduire à un fantôme indécis , habité complètement par la culpabilité radicale
originelle des hommes , le « j'ai dû faire mal ,mais quoi? ».
Paralysé, stupéfait ,torturé par la perspective de l'affrontement avec son fils , il lui manque même le
chagrin.
Brutale rupture de rythme dans les dix dernières pages du roman sous forme d'une stichomytie dans
le dialogue échangé avec le contre-maître de la mine :son fils savait ,tout le monde savait et
pendant sa propre confusion le monde a continué sans lui , tout s'est arrangé à son insu.
Floué la colère le réveille et le fait partir mais l'employé de la mine vient lui glisser en confidence
un autre mensonge ou vérité -mais qu'importe puisque le mur se fissure... et il confie à cet homme
pour le remettre à son fils comme preuve de son passage la boîte à naswar :libre à celui-ci de
rétablir ou non le « fil ».C'est la boîte de Pandore qui ne contient que l'espoir et son satellite
indissociable la souffrance ,mais qui autorise le retour du Sens et du vrai chagrin qui libère les
larmes de la douleur qui fond.