Vie et Destin Vassili Grossman .ed Bouquins présentée par T.Todorov 2006

et complétée de textes ultérieurs qui éclairent l'oeuvre et l'auteur.



 

 

« La mort rend les hommes précieux et pathétiques »

« Dieu a créé l'homme pour qu'il y ait un commencement » c.a.d. la Liberté

Vie et Destin de Vassili Grossman se déroule de l'automne 1942 au printemps 43 autour de la bataille de Stalingrad , moment décisif d'affrontement entre deux totalitarismes étrangement homologues - et cet amalgame assumé par l'auteur lui vaudra la censure et la forclusion de l'Etat et de la Police.

Livre profondément humaniste qui assigne à chacun des personnages ses responsabilités voire sa culpabilité mais lui laisse sa part de fragilité , ses failles qui le rendent proche de l'auteur et du lecteur. Il veut aussi préserver l'espoir car si l'on peut étouffer la liberté on ne peut pas l'anéantir et nul à terme ne peut empêcher l'enfant de naître et le nouveau d'advenir , ni l'amour ni les petits gestes de bonté d'apparaitre ;la liberté radicale de l'homme défie les discours ou les coercitions normatives et le lit de Procuste du déterminisme scientifique. La nécessité totalitaire se heurte inopinément mais toujours au hasard de la Vie qui rebute le Destin.

Au travers de ce qui est vécu et magistralement décrit sous le visage d'acteurs multiples , tous singuliers mais liés par la parenté , l'amour ,l'amitié ,la guerre,...,dans les tableaux contrastés de vastes paysages , de combats , de camps d'extermination , tout est dit sur les hommes et sur l'histoire du XX° siècle avec la science d'un essai et le lyrisme d'une grande oeuvre poëtique.

Mais le secret de l'oeuvre , l'émotion profonde quelle nous impose c'est certainement l'implication revendiquée de l'auteur , « homo sovieticus « qui se retourne vers son passé : sollicité par le Pouvoir il a trahi , dénoncé , calomnnié à plusieurs reprises au cours de sa vie par peur ,conformisme ou « sincère » esprit de Parti. Il assume sa culpabilité , ne veut pas du pardon .

Mais il demandera aussi dans des textes ultérieurs (« Tout Passe ») quels hommes pourront juger d'autres hommes car tous sont impliqués.

C'est dans une disposition similaire que se trouve chez Camus le « juge pénitent » de La Chute , mais ici le personnage a vécu complètement la faute et affiche publiquement son remord.

Soleil rouge des couchants sur la steppe , moments de grâce et de lumière avant les canons et les massacres , regret de l'inaccompli au bord de la mort , nostalgie suffocante de la musique ,tortures de l'arbitraire , ce roman donne à voir du beau,du farouche,du noble mais avant tout nous met devant notre condition d'humain fragile ,faillible mais capable de bonté et « du petit Bien » que le Mal n'arrive finalement jamais à faire disparaître.



 

G Lehmann