"Errata" de George STEINER le 3 novembre 2004


ERRATA récit d'une pensée par Andrée HAGEGE

Le sous-titre accroche notre attention. C'est en effet, dès les premières lignes, une pensée qui se déroule, à partir d'événements signifiants: rencontres d'objets, de textes, de musiques, d'autres formes d'art, d'êtres ou de lieux même, générateurs de réflexion.

Dès son enfance, le futur chercheur prit conscience de l'immensité foisonnante du monde. L'ironiste sceptique que fut son père inventa pour lui un « Talmud profane », lui offrant de comprendre, d'apprendre par coeur, dans la langue d'origine, de longs passages d'Homère ou d'autres auteurs classiques, inondant la maison de musique, suscitant en son enfant cette évidence aveuglante, à savoir que « l'étude, la discussion théologico-philosophique, la musique classique, la poésie, l'art, tout ce qui est difficile parce que excellent sont l'excuse de la vie ».

Dans ce mémoire, l'auteur a-t-il payé ses dettes,comme cela lui semble primordial ?

Envers son père, dont il entend la voix en écrivant Homer in english?

Envers ses proches, quand il les nomme avec ce tremblement de fierté assourdi par la retenue des termes admiratifs ?

Envers les artistes, les intellectuels qui l'ont nourri ? Ces « classiques » dont l' impérieuse licence est d'exiger une réponse active et dont la définition, pour lui, serait « ce autour de quoi l'espace d'autonomie inviolée » est « d'une fécondité pérenne ».

Envers les grands maîtres qui l'ont structuré, qui l'ont critiqué, qui l'ont encouragé?

Envers les élèves qui l'ont surpassé? A-t-il fait le tour de la relation de maître à élève qu'il assimile à une allégorie en acte de l' amour desintéressé; lui, l'enseignant pour qui ce métier fut « l'oxygène de sa vie »?

A-t-il trouvé les mots pour exprimer l'absoluité de la musique, ce « sine qua non », cette « preuve du méta-physique », par-delà le vrai et le faux, le bien et le mal.

A-t-il, lui, le polyglotte, mis suffisamment en évidence cette bénédiction que fut Babel et cette catastrophe qu'est la disparition d'une langue avec ces phrases : « Chaque langue remplit une alvéole de la ruche des perceptions et des interprétations potentielles. La mort d'une langue ...est la mort d'un monde. Chaque jour qui passe s'amenuise le nombre de manières de dire espoir ».

A-t-il su enfin exposer les nuances de ses points de vue sur sa condition de juif ? Le Juif dont il reprécise la mission d'errance, « la vocation d'hôte, la fonction d'irritant moral et d'insomniaque parmi les hommes ». « Luftmensh », créature de l'air , sans racines, accusaient les Nazis.

Sans conteste...ce compagnonnage avec les vents inspire une méfiance viscérale, tente d'expliquer G. Steiner. Il ajoute: le Juif est responsable (coupable?) d'avoir engendré Dieu, plus que de l'avoir tué; sans doute aussi d'avoir « inventé la conscience », comme l'a dit « sans ambages Hitler » .

Quoi qu'il en soit, l'amertume est là, devant l'inachevé de la tâche, devant l'irréparable des erreurs; face à cette « terre dilapidée », la tristitia, celle qui engourdit, s'empare de lui. Elle devient « ténèbre bouillante » devant les tortures, toutes les souffrances infligées.

S'il se récrie contre le silence de Dieu, contre son énigmatique inefficacité, il veut à toutes forces les croire occasionnels; il se surprend à « divaguer puérilement: et si l'histoire humaine était le cauchemar passager d'un Dieu qui dort? » Il veut croire que « Dieu ne sera à la portée manifeste de la perception humaine que le jour où il y aura un immense excès de l'amour sur la haine ».

Suffirait-il d'attendre?

Andrée HAGEGE

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