"Ana Non" de Agustin Gomez-Arcos
Qui sont ces non? les noms d'Ana et son mari et de ses fils. Or au cours de ces 310 pages l'auteur a bien donné vie à Ana et aux siens. Parce que ce récit, où le réel et l'allégorie se côtoient, exprime la volonté d'effacer la république espagnole de 1931-1936 en même temps que la persistance de cette république; dût-elle apparaître sous les traits d'une pauvre vieille et d'un aveugle chanteur de "romances". Tous deux étant d'ailleurs la réincarnation du couple mythique du roman de Galdos: "Miséricorde". Bénina comme Ana grandit dans son être au fur et à mesure que son apparence se détériore.
Car c'est bien de l'Espagne dont il s'agit ici et de ses deux visages: celui des vainqueurs dont les noms des morts figurent sur le mausolée"del valle de los caidos" et celui des vaincus condamnés à l'oubli, à la prison ou à l'exil.
Parlant du "Tormes": rivière-lyre ,Trinidad explique: "Tout ce qu'il y a de plus noble et de plus misérable dans l'histoire de notre pays est passé par ici; à propos de Salamanque fondée au XIIIe siècle il parle d'un noyau de répression et de culture.
Le personnage de "Jesus" le petit, le seul de la famille, Paücha, à savoir lire et écrire, m'a évoqué la figure du berger poète Miguel Hernandez mort à 34 ans dans une prison franquiste. Voici une strophe de son poème "avant la haine"écrit en prison:
"Il n'est point de prison pour l'homme
Nul ne peut me ligoter définitivement
Ce monde de fers et de chaînes
M'est lointain et insignifiant
Car qui tenaille un sourire
Qui incarcère la voix?"
Agustin Gomez-Arcos cite Unamuno répliquant au général Millan-Astray: "Vous vaincrez. Vous ne convaincrez pas ! "
Pendant combien de temps la voix du juge Garzon sera-t-elle étouffée?
Christiane VINCENT