« Tours et Détours de la vilaine fille» Mario Vargas Llosa
Par Monique Bécour
à Isabel
le 20 Février 2011
Dès la lecture du titre, je me suis arrêtée, en tant que comparatiste à l'image suscitée par analogie avec l'œuvre de Daniel de Foë (1660-1731) : « Heurs et malheurs de Moli Flanders » (1720). Daniel de Foë incarne le ralliement des dissidents modérés à la cause nationale. Il soutient les Whigs puis les Tories qui prônent la réconciliation nationale. Christiane Vincent traduit par «manigances», ({ chemins détournés» le mot espagnol: «Travesuras ». Mario Vargas Llosa a vécu dans les années 70 à Londres, ce grand intellectuel a certainement lu ce classique de la littérature anglaise du 18ème siècle. Cette sensation de « déjà lu, entrevu» se confirma au fur et à mesure de ma lecture.
Isabel avait demandé à Simone V. une auditrice et amie son avis expert et autorisé sur le comportement cruel de la vilaine fille. Simone V. a donné cet avis lors de la présentation de notre livre et je suis d'accord avec elle car je l'avais pensé également: « sous les blessures de la vilaine fille se cache une blessure très ancienne, indélébile, insurmontable comme celle d'une innocence abusée, bafouée, trahie (imaginer peut-être un viol par son père ou un de ses proches, ou des violences extrêmes de la part de ses parents). La vilaine fille semble de toutes façons avoir subi un traumatisme tel qu'elle ne peut en parler, même pas au bon garçon ... ce traumatisme est-il enfoui dans son inconscient? Ce qui le signe, c'est d'une part cette communion de souffrance que le petit autiste Yi/al perçoit d'instinct, et à l'autre extrémité sa relation sadomasochiste ou elle redevient victime consentante, victime expiatoire de son amant japonais qui la martyrise. Peut-être cela explique-t-il aussi cette frénésie à changer de personnage ».
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Dans le roman de Daniel de Foë, Moll Flanders, adolescente est « forcée », ainsi qu'on le disait à l'époque par le fils aîné de la famille aristocratique où elle est placée et rejetée de la « high society» comme Otila rejetée de Miraflores à Lima. L’ascension sociale de Lily est éblouissante, simple petite chilienne, Lily devient Madame Arnoux, (clin d'œil à l'Education sentimentale de Flaubert,) femme de haut fonctionnaire de l'Unesco avant de s'insérer dans l'aristocratie anglaise en épousant Mr David Richardson puis de se rebaptiser Furika au contact de l'un des plus influents chefs de la mafia japonaise, à la fin du roman elle devient Madame Ricardo Somocucio, évènement parfaitement anecdotique.
Otila (Lili) va s'approprier les biens dans le Sud de la France d'un de ses derniers amants l'agent immobilier, d'un « grand âge, un vieux machin », époux de Martine qui l'avait aidée: elle est alors poursuivie par cette épouse légitime et son fils. Ricardo dit d'elle à ce moment: « elle n'avait jamais été amoureuse de personne elle avait voulu échapper à l'ennui et à la médiocrité, à la recherche de ce qui avait été sa première priorité depuis qu'enfant elle avait découvert la vie de chien des pauvres et l'aisance des riches: cette sécurité que seul l'argent garantissait »,
De la même manière, Moli Flanders, va s'élever socialement progressivement en épousant ou en étant la maîtresse d'hommes riches et puissants. Parallèlement, pour survivre, elle vole à la tire dans les magasins, dans la rue ou les pièces d'or dans les poches de ses riches amants. Elle prend de plus en plus de risques. Elle est même bigame durant une longue période comme notre petite chilienne qui n'a pas divorcé de Mr Arnoux avant d'épouser David Richardson. Pour les deux héroïnes, Lilly et MolI, la survie au jour le jour, le succès remplace la grâce, la vie spirituelle est réduite, la moralité ne passe que par le mariage et la garantie des ressources.
La conclusion du livre est différente car si Ricardo est effrayé par l'état de santé de Lili qu'il a enfin pu épouser, lorsqu'il constate les cicatrices sur le corps meurtri de la vilaine fille, il confie « je fus si impressionné que, sans me rendre compte de ce que je faisais, je la recouvris du drap. Et je sus que jamais plus, je ne pourrai lui faire l'amour (p.4l5) »
Moll Flanders, au contraire, purgée de sa peine pour vol, déportée par bateau - (prison, pendaison et déportation dans ce pays à cette époque) - pour vol à deux reprises aux Amériques, va enfin retrouver son premier mari d'origine, (voleur lui-même), organiser leur départ définitif avec matériel agricole, outillage, et surtout un coffre rempli d'or, fruit de toute une vie de rapines. Ils vivront désormais une nouvelle vie au nouveau monde.
Différence de point de vue, d'angle descriptif: dans Moll Flanders, c'est l'héroïne qui dit ses aventures alors que dans « Tours et Détours de la mauvaise fille », le narrateur est le « bon garçon ».