Compte-rendu des débats vus par Michel BOUDIN
"Connaissez-vous Evhémère? C'est un auteur de l'Antiquité qui lisait Homère comme une source de renseignements sur les personnes et les lieux décrits dans l'épopée. On appelle donc lecture évhémériste (comme le fait Todorov dans "La notion de littérature") une lecture qui traverse instantanément le texte à la recherche d'indices sur un monde réél.
Et c'est ainsi qu'à Direlire, en cette mémorable séance, nous avons fait du Jardin des Finzi-Contini un guide intelligent pour visiter Ferrare, côtoyer une certaine société provinciale italienne et éclaircir des moments douloureux de l'Histoire.
Mais n'a-t-on pas, ce faisant, négligé la recherche du sens même de l'oeuvre? Il parait évident que Bassani n'avait pas pour ambition d'écrire un Guide Bleu ou de composer un documentaire sur une classe sociale particulière ou de produire un essai sur l'évolution du fascisme italien.
Qu'en est-il alors du sens de l'oeuvre et quelle lecture adopter? Peut-être faut-il inverser l'ordre des choses et au lieu d'expliquer "le jardin" par Ferrare, essayer de comprendre comment Bassani fait de Ferarre un si joli jardin.
Rimbaud d'ailleurs, ( dans Jeunesse IV) nous montre le difficile chemin: "Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice". Approcher le plus qu'il se peut cette impulsion créatrice, le rêve de tout lecteur!
Et le courageux pari de DIRELIRE..."
et par Annie ROUZOUL
"En fin de séance l'un de nous s'est étonné qu'on ait à peine évoqué le film. Micôl. Dominique Sanda en Micôl.
Je ne l'ai pas vue. La Belle en son jardin."L'Amour de Moy y est enclose..." La Belle en sa maison en sa chambre en son lit. Dame de Lancelot, Chevalier à la Charrette (*) devenue, avec le temps, bicyclette. Graciosa tenniswoman de l'immédiate avant-guerre: la deuxième mondiale dont Micôl et les siens ne reviendront pas(**).
Partis en fumée? La tragédie annoncée dès la fin du prologue ne nuit-elle pas à l'oeuvre? Pour celui qui pose la question c'est oui.
Pour d'autres au contraire, l'ombre de l'improbable mausolée "temple vaguement antique et vaguement oriental", "incroyable pièce montée", "une horreur" selon la mère du narrateur ne parvient pas à écraser "le vert paradis des amours enfantines".
Pas si simple...S'il n'a pu échapper à l'Histoire avec sa Grande Hache, ce paradis sis à Ferrare, dans une ancienne "folie" de la famille d'Este- les jeux d'eau de la Villa d'Este- , ce paradis, aire de jeux innocents et cruels qui, par définition inclut un enfer, a été ressusctité par son auteur, Giorgio BASSANI, dont nous avons goûté la langue - point n'était besoin d'en connaitre le mot à mot- grâce à la Bella Voce d'Hervé Casini lisant le rêve du narrateur, coeur de l'oeuvre.
Giorgio BASSANI, né à Ferrare comme Giorgio de Chirico, Antonioni et Primo Levi est mort il y a peu , loin de sa ville quittée en 1947. Il avait fondé une association , "Italia Nostra" , pour la sauvegarde des chefs d'oeuvre en péril, nous a appris, avec son accent d'Italie du nord, une dame Claudia qui possède un objet offert à sa mêre par Madame Bassani. Une opaline de Micôl peut-être..."
(*) "Le Chevalier à la Charrette" est le sous-titre du Roman Courtois de Chrétien de Troyes, deuxième moitié du XIIe siècle, dont le héros est Lancelot du Lac. Parmi les épreuves imposées par sa Dame, la Reine Guenièvre, figure le devoir de monter dans la charrette d'infamie qui conduisait les jugés coupables au pilori ou à la mort. Parce qu'il a hésité "le temps de deux pas", d'autres épreuves attendent "le Chevalier servant". Epreuves dont il devra triompher non seulement par des prouesses mais par d'autres humiliations."
(**) Un lecteur, Régis MANECHEZ, nous a écrit ceci: "MICOL ne serait pas morte dans un camp nazi . Je me suis rendu en 2003 sur la tombe de Giorgio BASSANI au cimetière juif de Ferrare. La gardienne m'a dit que Micol était morte trés âgée dans une ville du nord de l'Italie ( Padoue ou Milan)."